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Transfert d’entreprise et licenciement : que dit le Code du travail ?

Par R. BRIGUET-LAMARRE. Enseignant, diplômé de l'école de formation du barreau de Paris (CAPA), Master 2 DPRT (Paris II)

• Publication : 15 janvier 2019

• Mise à jour : 10 mars 2023

Le transfert d’entreprise est un changement dans la situation juridique de l’employeur qui se matérialise par une opération consistant à confier à un repreneur l’activité économique d’une entreprise.

Les transferts d’entreprise sont souvent perçus comme de simples opérations économiques et commerciales régies par le droit des affaires.

Néanmoins, de nombreuses conséquences sociales, parfois lourdes à porter pour les sociétés, découlent de ces opérations.

Méconnaissance du droit et manque d’informations peuvent conduire les entreprises à conclure des fusions, ventes de fonds de commerce, cessions ou encore scissions sans envisager l’intégralité des conséquences sociales.

  • Quel est le devenir des salariés de la société de l’ancien employeur en cas de transfert d’entreprise ? 
  • Est-il possible de licencier des salariés lorsqu’un transfert d’entreprise est envisagé?

Le Code du travail protège l’emploi des salariés : aucun licenciement à l’occasion d’un transfert d’entreprise n’est possible (I). Des exceptions sont toutefois prévues (II).

I. Principe de continuité des contrats de travail : le protection de l’emploi par le Code du travail

Les contrats de travail en cours au jour de l’opération sont transférés de plein droit (A) et les licenciements à l’occasion du transfert sont réputés sans effets (B).

A. Transfert de plein droit des contrats de travail

1) Principe de continuité des contrats de travail en cas de transfert d’entreprise

L’article L.1224-1 du Code du travail encadre le devenir des contrats de travail lorsqu’il y a une modification de la situation juridique de l’entreprise.

Il prévoit que :

« Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ».

Cet article pose un principe de continuité des contrats impliquant le transfert de plein droit des contrats de travail en cours par le seul effet de la loi. Ni les employeurs ni les salariés ne peuvent s’y opposer.

Le nouvel employeur à l’obligation de reprendre les contrats de travail en l’état, c’est-à-dire qu’ils doivent être exécutés dans les mêmes conditions qu’au sein de l’entreprise initiale.

Cette obligation rend impossible l’ajout d’une période d’essai au contrat (Cass. Soc., 31 mars 1998, n°95-44.889) ainsi que la modification du contrat sans l’accord du salarié (Cass. Soc., 30 mars 2010, n°08-44.227).

L’ancienneté et la rémunération contractuelle doivent, elles, rester identiques.

2) Étendue du principe de continuité des contrats de travail

L’obligation pesant sur le nouvel employeur couvre tous les contrats de travail, peu importe le type  de contrat :

  • Les contrats de travail à durée déterminée;
  • Les contrats de travail à durée indéterminée;
  • Les contrats à temps partiels;
  • Les contrats à temps complets.

Plus largement, ce principe de continuité s’applique :

  • Aux contrats d’apprentissage(Cass. soc., 6 mai 2014, n° 12-22.881);
  • Aux contrats de professionnalisation(Cass. soc., 3 mars 1998).

En revanche, les contrats uniques d’insertion-contrat d’accompagnement dans l’emploi (CAE) et les contrats initiatives emploi (CIE) sont conclus pour le compte de l’État (C. trav., art. R. 5134-21 et R. 5134-55).

Le transfert n’est donc pas automatique. S’il le souhaite, le nouvel employeur peut être autorisé par le délégataire de l’État signataire de la convention “ à être substitué dans les droits de l’employeur signataire de la convention” ouvrant droit au bénéfice d’un CAE ou d’un CIE.

Quid des salariés protégés ?

Le devenir des contrats de travail des salariés protégés diverge selon le type de transfert orchestré par les employeurs.

  • En cas de transfert total de l’entité, les contrats de travail des salariés protégés en cours au jour du transfert sont transférés de plein droit au même titre que les autres salariés sans nécessité d’obtenir l’accord express et préalable du salarié.
  • En cas de transfert d’entreprise partiel, le sort des contrats de travail des salariés protégés est soumis à l’autorisation préalable de l’inspection du travail afin qu’il puisse s’assurer de l’absence de discrimination (C. trav. Art. L.2414-1).

 

B. Conséquences sur les licenciements

L’article L. 1224-1 du Code du travail interdit tout licenciement à l’occasion du transfert.

Une rupture intervenant dans une telle hypothèse serait qualifiée de collusion frauduleuse entre les deux sociétés.

La jurisprudence parle de « collusion frauduleuse » lorsque les licenciements sont organisés entre le cédant et le cessionnaire et fondés sur un motif économique fallacieux afin de :

« faire échec aux dispositions d’ordre public du Code du travail au détriment du personnel employé par le premier entrepreneur »

(Cass. soc., 5 juill. 1984).

La collusion frauduleuse doit être établie au regard des circonstances objectives dans lesquelles le licenciement est intervenu(CJCE, 15 juin 1988, aff. C-101/87).

La date rapprochée entre le licenciement économique et l’opération de cession étant un des éléments déterminant permettant de confirmer la présence ou non d’une collusion frauduleuse.

Lorsque la collusion frauduleuse est avérée le licenciement est « sans effet » (Cass. soc., 20 janv. 1998, n° 95-40.812, Rejet). Le contrat est censé n’avoir jamais été rompu et le principe de continuité s’impose à tous les protagonistes.

Cependant, lorsque le licenciement est considéré nul une option est tout de même laissée à la discrétion du salarié lésé, il peut choisir :

  • soit de demander une indemnisation à l’employeur ayant prononcé son licenciement ;
  • soit de demander au repreneur la réintégration dans la société (Cass. soc., 20 mars 2002, n° 00-41.651).

Dans cette seconde hypothèse il ne pourra pas demander d’indemnisation parallèlement à sa réintégration (Cass. soc., 11 mars 2003, n° 01-41.842).

II. Exceptions au principe de continuité : la possibilité de prononcer des licenciements

Le principe de continuité connait des limites. Il est possible, dans certains cas, de prononcer des licenciements (A). Une exception de taille réside également dans la possibilité pour l’employeur de licencier pour motif économique dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (B)

A. Licenciement sans lien avec l’opération de transfert d’entreprise

Seuls les contrats en cours au jour du transfert doivent être repris (C. trav., art. L. 1224-1).

En application de ce principe, il n’est pas interdit de licencier des salariés lorsque le licenciement n’est pas en lien avec l’opération.

1) Licenciement avant le transfert d’entreprise

Avant la cession d’entreprise, que ce soit pour motif économique ou pour motif personnel l’employeur initial peut procéder aux licenciements de ses salariés dès lors que la rupture n’est pas en lien avec la cession.

Les contrats valablement rompus avant le transfert ne sont plus considérés comme étant en cours d’exécution et ne peuvent pas se voir appliquer le régime protecteur de l’article L. 1224-1 du Code du travail.

Les salariés licenciés antérieurement à cette opération peuvent contester leur licenciement s’il est démontré que l’opération de reprise a eu pour but ou pour effet de faire fraude à leurs droits (Cass. Soc., 6 nov. 1991, n° 90-40.798 ; Cass. Soc., 6 oct. 2010, n° 08-42.738).

2) Licenciement après le transfert d’entreprise

Le transfert d’entreprise a pour effet, outre le transfert des contrats de travail, de transférer également les droits et pouvoirs de l’employeur qui y sont attachés.

Le pouvoir d’organisation et de sanction de l’employeur initial est au cours de l’opération transféré à l’employeur, nouvel exploitant.

Dans le cadre de ses prérogatives, le nouvel employeur peut procéder au licenciement de ses salariés selon les règles du droit commun, à savoir :

  • des licenciements pour motif personnel (Cass. soc., 25 oct. 2000, n° 98-45.422)
  • des licenciements pour motif économique dans le cadre de « mesures de réorganisation ». L’employeur devra justifier d’une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. soc., 30 mai 1980, n° 78-15.874, Rejet)

Le refus de la modification du contrat de travail de la part des salariés transférés constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. Soc 1er juin 2016, n°14-21.143).  Cet arrêt a été interprété comme une partie de la doctrine comme signifiant que le transfert opère « par lui-même » une modification du contrat et que le licenciement aurait par conséquent nécessairement une cause réelle et sérieuse sans qu’il ne soit besoin de démontrer l’existence d’un motif économique.

La Cour de cassation semble toutefois avoir retenu une solution inverse dans un arrêt de 2017 en constatant que la “volonté de l’employeur de réorganiser le service financier de l’entreprise” ne permettait pas de caractériser un motif économique (Cass. soc., 11 juill. 2017, no 17-12.747).

B. Licenciement pour motif économique dans le cadre d’un PSE

La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a apporté une dérogation au principe de continuité posé par l’article L.1224-1 du Code du travail.

L’article L. 1233-61 du Code du travail prévoit que :

« lorsque le plan de sauvegarde de l’emploi comporte, en vue d’éviter la fermeture d’un ou de plusieurs établissements, le transfert d’une ou de plusieurs entités économiques nécessaire à la sauvegarde d’une partie des emplois et lorsque ces entreprises souhaitent accepter une offre de reprise, les dispositions de l’article L. 1224-1 relatives au transfert des contrats de travail ne s’appliquent que dans la limite du nombre des emplois qui n’ont pas été supprimés à la suite des licenciements, à la date d’effet de ce transfert »

Il ressort de cette disposition que les licenciements pour motif économique antérieurs à la cession d’entreprise, destinés à éviter la fermeture d’un établissement, ne sont plus considérés comme inefficaces.

Cette exception s’inscrit dans un cadre très précis. Il doit s’agir d’une entreprise de plus de 50 salariés et l’opération doit avoir pour but de sauvegarder une partie des emplois.

Dans cette situation, la société peut, lors de la négociation de la reprise de l’entreprise, négocier la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Seuls les postes nécessaires (sans lesquels la société ne peut pas fonctionner) pourront être conservés. Les autres emplois feront l’objet d‘un licenciement économique antérieurement à la cession.

Le transfert d’entreprise est une opération complexe dans laquelle le devenir des contrats de travail peut avoir un effet décisif sur la réalisation ou non de l’opération.

Outre le transfert pur et simple des contrats de travail, sont également impactées par ces opérations les cotisations sociales et de façon plus large l’ensemble des mesures liées à la protection sociale dans l’entreprise.

Sources :

  • Cass. soc., 5 juill. 1984.
  • CJCE, 15 juin 1988, aff. C-101/87
  • Cass. soc., 20 janv. 1998, n° 95-40.812, Rejet.
  • Cass. soc., 20 mars 2002, n° 00-41.651.
  • Cass. soc., 11 mars 2003, n° 01-41.842
  • C. trav., art. L. 1224-1.
  • Cass. Soc., 6 nov. 1991, n° 90-40.798 ; Cass. Soc., 6 oct. 2010, n° 08-42.738.
  • Cass. soc., 25 oct. 2000, n° 98-45.422
  • Cass. soc., 30 mai 1980, n° 78-15.874, Rejet
  • Cass. Soc 1er juin 2016, n°95-44.889

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  1. “Il convient de préciser que le refus de modification du contrat de travail de la part des salariés transférés constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. Soc 1er juin 2016, n°95-44.889).”
    Ah bon ??

  2. Bonjour,
    Merci pour votre message. Oui c’est bien ce qu’à retenu la Cour de cassation dans cet arrêt (le n° de pourvoi n’était pas bon je l’ai modifié). Il semble toutefois qu’elle ait changé (ou simplement clarifié) de position par la suite notamment dans un arrêt de 2017 en exigeant que la cause réelle et sérieuse soit tirée d’un motif économique (difficultés économiques, sauvegarde de la compétitivité etc…). J’ai rajouté également cet arrêt. Bonne journée.

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