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Article 2 du Code civil : L’application de la loi dans le temps

Par R. BRIGUET-LAMARRE. Enseignant, diplômé de l'école de formation du barreau de Paris (CAPA), Master 2 DPRT (Paris II)

• Publication : 20 septembre 2020

• Mise à jour : 10 mars 2023

Lorsque deux lois ayant le même objet se succèdent dans le temps, survient un conflit de loi dans le temps. Il s’agit alors de déterminer laquelle de la loi ancienne ou de la loi nouvelle doit s’appliquer.  L’article 2 du Code civil qui dispose que : « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif » ainsi que la jurisprudence permettent de résoudre les problèmes suscités par l'application de la loi dans le temps.

Nous allons voir dans cet article tout ce qu'il faut savoir sur ce thème en vue d'un examen !

I. Présentation des théories doctrinales sur l'application de la loi dans le temps

L'article 2 du Code civil fait partie du Titre préliminaire du Code civil intitulé "De la publication, des effets et de l'application des lois en général" qui contient 7 articles. Il revêt donc une importance particulière.

Toutefois, la formule laconique de l’article 2 du Code civil ne permet pas de résoudre tous les problèmes susceptibles de se poser.

C’est pourquoi deux théories doctrinales ont été conçues : 

1. La théorie des droits acquis repose sur une distinction entre les « simples expectatives » (droits qui n’étaient qu’éventuels sous l’empire de la législation ancienne) et les « droits acquis » (droits définitivement entrés dans le patrimoine sous l’empire de la législation ancienne).  

  • Les simples expectatives peuvent être remises en cause par la loi nouvelle qui est alors rétroactive. 
  • Les droits acquis ne peuvent pas être retirés par la loi nouvelle qui ne peut pas être rétroactive.  

2. Selon la théorie de l’effet immédiat (attribuée à Paul Roubier) : 

  • Les conditions de validité d’une situation juridique et les effets d’une situation juridique qui se sont réalisés avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle restent régis par la loi ancienne en vertu du principe de non-rétroactivité. 
  • Les conditions de validité d’une situation juridique et les effets d’une situation juridique qui se réalisent après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle sont régis par la loi nouvelle en vertu du principe d’application immédiate sauf exception en matière contractuelle où le principe de survie de la loi ancienne s’applique.  

Ces deux théories doivent être connues car elles ont été reprises par la jurisprudence et sont utilisées par les juges pour interpréter l’article 2 du Code civil.  

II. Première partie de l’article 2 - « La loi ne dispose que pour l’avenir » : le principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle 

A. Le principe : l’effet immédiat de la loi nouvelle 

Selon ce principe, la loi nouvelle régit soit les situations en cours de constitution ou d’extinction, mais non d’ores et déjà constituées ou éteintes, soit les effets futurs des situations en cours mais sans qu’il y ait rétroactivité. 

B. L’exception : la survie de la loi ancienne 

La jurisprudence a consacré une exception à l’effet immédiat de la loi nouvelle en matière contractuelle dans l’arrêt de principe « Dame Museli c/ SCI Le Panorama » (3è civ., 3 juill. 1979) :  

« les effets des contrats conclus antérieurement à la loi nouvelle, même s’ils continuent à se réaliser postérieurement à cette loi, demeurent régis par les dispositions sous l’empire desquelles ils ont été passés ».  

Dame Museli c/ SCI Le Panorama (3è civ., 3 juill. 1979)

Exceptionnellement, la loi ancienne va « survivre » car les parties ont contracté en prenant en compte l’état du droit en vigueur au moment de la conclusion du contrat.  

Le principe de la survie de la loi ancienne signifie que la loi nouvelle ne peut pas avoir d’effet sur le contrat qui se poursuit dans les mêmes conditions et selon la législation en vigueur au moment de la conclusion du contrat.  

C. L’exception de l’exception : l’effet immédiat de la loi nouvelle même en matière contractuelle 

Le principe de survie de la loi ancienne, n’ayant que valeur « jurisprudentielle », peut être écarté en matière contractuelle dans deux hypothèses :   

1. Le législateur peut prévoir expressément que la loi sera d’application immédiate.  

2. Le juge peut écarter la survie de la loi ancienne en matière contractuelle lorsqu’il considère : 

  • soit que le caractère d’ordre public particulièrement impérieux de la loi nouvelle justifie son application immédiate aux effets futurs d’un contrat (Cass., Com., 3 mars 2009).  
  • soit que le contenu du contrat est si impérativement fixé par la loi que le contrat doit être assimilé à une situation légale, justifiant que ses effets futurs soient régis par la loi nouvelle (Cass, avis, 16 févr. 2015, n°15/002).  

III. Deuxième partie de l’article 2 « La loi n’a point d’effet rétroactif » : le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle 

A. Le principe : l’interdiction de la rétroactivité de la loi nouvelle 

Qu’est-ce qu’une loi rétroactive ?  

Il s’agit d’une loi qui va s’appliquer à une situation passée. Prenons un exemple simple :  le décret du 11 mai 2020 a imposé le port du masque « dès lors que les règles de distanciation physique ne peuvent être garanties » sous peine d’une amende forfaitaire. Si ce décret était rétroactif cela signifierait que dès l’entrée en vigueur de ce décret tous les individus qui ne portaient pas de masques avant le 11 mai 2020 pourraient faire l’objet d’une amende forfaitaire.  

L’interdiction de la rétroactivité de la loi nouvelle repose sur l’idée de sécurité juridique : remettre en cause des situations qui se sont valablement constituées sous l’empire de la loi ancienne est contraire à la sécurité juridique.  

(!) Valeur du principe de non-rétroactivité (!) 

En matière civile, le principe de non-rétroactivité a valeur législative (C.civ., art. 2) et s’impose donc au juge. Le législateur peut donc déroger à ce principe et prévoir des lois dont l’application est rétroactive.  

En matière pénale, le principe de non-rétroactivité a valeur constitutionnelle (le législateur ne peut donc pas y déroger) pour les lois pénales plus sévères (DDHC, art. 8).  

Il existe également une obligation prévue par les textes constitutionnels de rétroactivité pour les lois pénales plus douces (principe de la rétroactivité in mitius).  

Selon ce principe de non-rétroactivité : 

1. La loi nouvelle ne s’applique pas aux conditions de validité d’une situation juridique légale ou contractuelle passée ;

2. La loi nouvelle ne s’applique pas aux effets passés d’une situation juridique légale ou contractuelle passée. 

B. L’exception : la rétroactivité de la loi nouvelle 

Quatre types de loi sont rétroactives :  

1. Les lois rétroactives par intention du législateur : le législateur peut déclarer une loi rétroactive (sauf en matière pénale, lorsque la loi nouvelle est plus sévère que l’ancienne). 

2. Les lois interprétatives : le législateur lève l’ambiguïté sur un texte de loi et se contente de préciser l’interprétation qui doit en être faite.  

3. Les lois de validation : le législateur régularise, de manière rétroactive, des actes annulés ou qui pourraient l’être par le juge.  

4. Les lois pénales plus douces : les lois pénales plus douces sont par nature rétroactives (principe de rétroactivité in mitius).  

C. L’exception de l’exception : l’interdiction de la rétroactivité par le biais d’un contrôle de la rétroactivité de la loi nouvelle 

Les juges, sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le principe de « prééminence du droit » selon lequel doit être respecté le principe de séparation des pouvoir législatif et judiciaire et celui de « procès équitable »imposent au législateur le respect de plusieurs conditions : 

1. La loi rétroactive doit répondre à un impérieux motif d’intérêt général.  

2. L’atteinte portée par la loi rétroactive aux droits des justiciables doit être proportionnée au motif impérieux d’intérêt général.  

Quels juges assurent le respect de ces conditions ?  

  • Le Conseil constitutionnel avant la promulgation de la loi et après la promulgation de la loi (Const., art. 61-1, QPC) sur le fondement de l’article 16 DDHC.  
  • Les tribunaux français sont compétents pour exercer le contrôle de conventionnalité et contrôler les lois rétroactives sur le fondement de l’article 6 de la CEDH. 
  • La Cour européenne des droits de l’homme est également compétente.  

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  1. Félicitations tout d’abord pour votre site. Mais …
    Ne devriez-vous pas mieux distinguer vos développements entre « application de la loi dans le temps en matière pénale » (art. 112-1 et suivants du code pénal outre l’art. 8 de la DDHC, que vous citez) et « application de la loi dans le temps en matière civile » (art. 2 du code civil).
    Si, sur l’action publique, vous visez le seul art. 2 du code Civil, vous allez vous faire débouter si votre adversaire est vigilant.
    En outre, le passage sur le port du masque que vous visez étant de nature purement pénale, il ne relève pas de l’art. 2 du code civil. Ce n’est pas la seconde partie de l’art. 2 du Code Civil qui fait qu’il ne peut être rétroactif, c’est l’art. 112-1 du code pénal
    C’est donc surtout le visa de l’art 2 dans votre titre qui me chagrine
    C’est juste un avis d’ancien praticien…

  2. Effectivement, j’ai choisi un exemple qui puisse parler au plus grand nombre. Je vais corriger ce passage, merci pour votre commentaire !

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