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L’élément moral de l’infraction (article 121-3 du Code pénal)

Par R. BRIGUET-LAMARRE. Enseignant, diplômé de l'école de formation du barreau de Paris (CAPA), Master 2 DPRT (Paris II)

• Publication : 13 janvier 2022

• Mise à jour : 10 mars 2023

L’élément moral est un des trois éléments constitutifs de l’infraction correspondant à la composante psychologique de l’auteur de l’infraction. Une faute, intentionnelle ou non intentionnelle doit pouvoir lui être reprochée (la culpabilité) et il doit disposer de facultés intellectuelles suffisantes et librement exercées (l’imputabilité).

Cet élément moral est prévu par l’article 121-3 du Code pénal qui dispose  :

« Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.

Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui.

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.

Il n'y a point de contravention en cas de force majeure ».

Dans cet article, nous allons aborder tout ce qu'il faut savoir sur l'élément moral de l'infraction en vue d'un partiel de droit pénal et commenter l'article 121-3 du Code pénal. C'est parti !

I. Élément moral : distinction entre culpabilité et imputabilité

L’élément moral comprend deux éléments : l’imputabilité (les facultés intellectuelles doivent être suffisantes et librement exercées) et la culpabilité pénale (l’agent doit avoir commis une faute intentionnelle ou une faute non intentionnelle).

1 - Premier aspect de l'élément moral : l’imputabilité

Il ne suffit pas d’établir l’existence d’une faute (culpabilité), mais il faut en outre imputer cette faute à l’auteur de l’infraction.

L'imputabilité (du latin « imputare » signifiant « mettre au compte de ») consiste à établir un lien entre un individu et un acte. Pour qu’une telle imputation soit possible, l’auteur de l’infraction doit avoir une attitude psychologique lui permettant de comprendre et de vouloir son acte : il doit disposer de son libre arbitre pour engager sa responsabilité pénale.  

L’idée selon laquelle il ne peut y avoir de responsabilité sans libre arbitre est ancienne. Dans le livre de la Genèse, Adam et Eve, avant de gouter à l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal dans le jardin d’Éden, étaient inconscients et donc irresponsables. En d‘autres termes, l’incapacité d’une personne à distinguer le bien du mal la rendrait irresponsable.

Le droit pénal français, laïc, ne reprend pas cette distinction entre le bien et le mal, mais considère que la responsabilité pénale s’efface lorsqu’une personne n’est pas en capacité ni de comprendre ni vouloir son acte dans certains cas spécifiques. On parle de causes de non-imputabilité.

Ces causes de non-imputabilité sont les suivantes :

  • Les troubles psychiques ou neuropsychiques entrainant une abolition ou une altération du discernement (CP., art. 122-1);
  • La minorité (CP., art. 122-8);
  • La contrainte (CP., art. 122-2);
  • L’erreur de droit ou l’erreur de fait (CP., art. 122-3).

L’objet de cet article n’étant pas de détailler ces causes d’imputabilité, nous nous intéresserons dans le reste de l’article à la deuxième composante de l’élément moral, prévue par l’article 121-3 du Code pénal, correspondant à l’élément psychologique : la culpabilité.

2 - Deuxième aspect de l'élément moral : la culpabilité

La culpabilité (du latin « culpa » signifiant faute) est la composante psychologique de l’infraction : une faute doit pouvoir être reprochée à l’agent.

Pour bien comprendre ce qu’est l’élément moral de l’infraction, il faut d’abord définir la notion d’infraction pénale.

L’infraction pénale consiste en une « action ou une omission violant une norme de conduite strictement définie par un texte d’incrimination entrainant la responsabilité pénale de son auteur » [1].

Pour que la responsabilité pénale soit retenue, le juge pénal doit établir que les « éléments constitutifs » de l’infraction sont réunis. Il existe trois éléments constitutifs de l’infraction :

  • L’élément légal de l’infraction qui signifie qu’il ne peut y avoir ni infractions ni peines sans qu’un texte les prévoie (principe de la légalité criminelle exprimé par la formule latine « Nullum crimen, nulla poena sine lege »).
  • L’élément matériel de l’infraction consistant en un comportement, actif ou passif, décrit par le texte et donc propre à chaque incrimination : le texte pénal décrit un comportement (première composante de l’élément matériel) ainsi qu’un résultat (deuxième composante de l’élément matériel).
  • L’élément moral de l’infraction que nous allons détailler ci-dessous. 

Exemple - Les éléments constitutifs de l'infraction de meurtre sont les suivants :

  • L’élément légal est le texte d’incrimination soit l’article 221-1 du Code pénal.
  • L’élément matériel est l’acte matériel consistant à donner la mort à autrui.
  • L’élément moral est l'intention de donner la mort à autrui.

II. La nécessité de l’élément moral de l’infraction (art. 121-3 al.1er)

Toute infraction comprend nécessairement un élément moral correspondant à la composante psychologique de l’infraction.

Cette exigence de l’élément moral a une valeur constitutionnelle et résulte du principe de culpabilité selon le Conseil constitutionnel (Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411).

Toutefois, l’élément moral bien que prévu par l’article 121-3 du Code pénal n’est pas défini par la loi.

L’article 121-3 du Code pénal distingue simplement entre la faute intentionnelle et la faute non intentionnelle :

Article 121-3 du Code pénal - Aideauxtd.com

Ce texte pose ainsi trois règles importantes :

1 - Première règle : Tous les crimes sont intentionnels

Alinéa 1er : « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ».

2 - Deuxième règle : Les délits sont intentionnels en principe mais peuvent être non intentionnels lorsqu’un texte le prévoit

Alinéa 1er : « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ».

Alinéa 2 : « Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui ».

3 - Troisième règle : Les contraventions sont non intentionnelles sauf exception

L'article 121-3 du code pénal ne prévoit l’exigence d’une intention que pour les crimes ou les délits, mais il n’évoque pas l'élément intentionnel en matière de contravention. Le dernier alinéa de l’article 121-3 du Code pénal se contente d’énoncer qu’« il n'y a point de contravention en cas de force majeure ».

L’élément moral n’est donc pas requis en matière de contravention. On parle donc en matière contraventionnelle de « faute présumée ». Le terme doctrinal d’infraction matérielle sert donc à désigner les contraventions, pour lesquelles, la simple commission matérielle des faits incriminés suffit à caractériser l’infraction.

Par exception, certaines contraventions requièrent un élément moral spécifique. C’est le cas par exemple des contraventions en cas de violences volontaires ayant entraîné une incapacité de travail d'une durée inférieure à huit jours (C. pén., art. R. 625-1). 

III. L’élément moral et la faute intentionnelle (art. 121-3 alinéa 1er)

1 - Définition et preuve de l’élément moral

Comme expliqué ci-dessus, l’élément intentionnel (la doctrine utilise également les termes d’élément psychologique ou d’élément intellectuel) n’est pas défini par l’article 121-3 du Code pénal mais par la doctrine. Il consiste dans la conscience et la volonté d’accomplir l’acte interdit par la loi.

Comment prouver ces deux éléments ? 

La conscience de l’interdit est présumée selon la règle « nul n’est censé ignorer la loi ». Il n’est donc pas nécessaire de prouver la conscience d’accomplir l’acte interdit par la loi par l’auteur de l’infraction.

La volonté d’accomplir l’acte doit être prouvée mais, en pratique, les juridictions décident que la matérialité des faits fait présumer cette volonté d’accomplir l’acte (Exemple : Crim., 28 février 2018, n° 17-80.242).

2 - Les différents degrés de l’intention

L’élément intentionnel peut revêtir plusieurs degrés.

Certaines infractions nécessitent simplement un dol général pour être caractérisées (conscience et volonté d’accomplir l’acte interdit) et d’autres infractions vont prendre en compte, en plus, le résultat de l’infraction (dol spécial, dol dépassé, dol déterminé et indéterminé), ou la psychologie et le mobile de l’auteur de l’infraction (dol aggravé).

Degré de l'intention coupable

Définition

Le dol général

Correspond à l’élément moral tel que défini ci-dessus (conscience et volonté d’accomplir l’acte interdit par la loi). Il est requis pour toutes les infractions intentionnelles (C. pén., art. 121-3, al. 1). On parle de faute pénale de principe.

Le dol spécial

Intention plus profonde, spécifique à chaque infraction, qui requiert la conscience et la volonté d’accomplir l’acte par la loi (dol général) mais aussi que l’auteur poursuive un but spécifique.

Exemple : l’intention de tuer pour caractériser l’infraction de meurtre est un dol spécial.

Le dol aggravé

Prend en compte la psychologie ou les mobiles de l’auteur de l’infraction pour aggraver la peine. 

Exemples :

- S’agissant de la psychologie, la préméditation, qui est le dessein formé avant l’action de commettre le crime ou le délit (C.pén., art. 132-72) constitue est un dol aggravé. 

- S’agissant des mobiles, un mobile raciste ou discriminatoire aggrave l’infraction (C. pén., art. 132-76) et constitue un dol aggravé.

 Le dol dépassé (ou praeter intentionnel)

L’auteur a la conscience et la volonté d’accomplir l’acte mais le résultat voulu a été dépassé (une seule partie du résultat dommageable était souhaitée). Le dol dépassé permet d’atténuer la répression.

Exemple :  les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner (C. pén., art. 222-7).

Le dol déterminé

L’auteur des faits atteint exactement le résultat qu’il visait. Avec le dol indéterminé ou dol imprécis, l’auteur a la conscience et la volonté d’accomplir l’acte mais ne peut pas mesurer les conséquences du résultat de l’infraction avec exactitude. La peine va dépendre du résultat.

Exemple : les violences dont la répression dépend de l’incapacité totale de travail occasionnée (C.pén., art. 222-11 et s.).

Pour ce qui concerne le dol général, faites attention à ne pas confondre la conscience et la volonté d'accomplir l'acte interdit par la loi et les mobiles de l'auteur de l'infraction. 

Les mobiles sont les raisons personnelles ayant poussé l’auteur de l’infraction à agir. Par exemple, les mobiles d'un meurtre peuvent être la vengeance, la jalousie, la compassion... En principe, le mobile est indifférent (principe d’indifférence des mobiles) sauf lorsque la loi le prévoit expressément, ce qui est par exemple le cas en cas de dol aggravé. 

Par ailleurs, ne confondez pas non plus le dol spécial avec les mobiles. Le but spécifique correspondant au dol spécial réside dans la finalité de l’acte (qui vient en aval) contrairement aux mobiles qui sont les raisons de l’acte (qui viennent en amont).

III. L’élément moral et la faute non intentionnelle (art. 121-3 al. 2, 3 et 4)

1 - Définition de la faute non intentionnelle

Une infraction est dite non intentionnelle ou involontaire lorsque l’atteinte aux valeurs sociales protégées n’a pas été souhaitée ni prévue mais est la conséquence d’une simple imprudence. Dans un tel cas, le comportement est involontaire. C’est par exemple le cas de l’infraction d’homicide involontaire prévue par l’article 221-6 du Code pénal.

Trois notions, que nous allons détailler ci-dessous, sont au cœur de l’article 121-3 du Code pénal s’agissant de la faute non intentionnelle :

1. La notion de faute non intentionnelle.

La loi Fauchon du 10 juillet 2000 a consacré trois types de fautes non intentionnelles :

  • la faute simple ;
  • la faute de mise en danger délibérée ;
  • la faute caractérisée.

2. La notion de causalité (causalité directe et causalité indirecte).

3. La notion de personne physique et de personne morale.

2 - La Faute simple (article 121-3 al. 3 du Code pénal)

La faute simple est une « faute d’imprudence (1), de négligence (2) ou de manquement à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement (3) » (C. pén., art. 121-3, al. 3). Il peut donc s’agir d’une action ou d’une abstention.

Cette faute est appréciée « in concreto », c’est-à-dire en fonction de la situation concrète du prévenu au moment de la commission de l’infraction : « compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait » (C. pén., art. 121-3, al. 3).

Une faute simple suffit toujours à engager la responsabilité pénale d’une personne morale.

Pour les personnes physiques, un lien de causalité directe est nécessaire entre le comportement et le dommage c’est-à-dire que le comportement de l’auteur doit être la cause exclusive, immédiate ou déterminante du dommage.

Si le lien de causalité est indirect, la personne physique ne peut voir sa responsabilité pénale engagée qu’en cas de faute qualifiée.  Cette exigence résulte de l’alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal.

3 - La faute qualifiée (article 121-3 al. 4 du Code pénal)

Une faute qualifiée est une faute plus grave que la faute simple et est requise en cas de causalité indirecte (l’auteur contribue à la réalisation du dommage sans que son comportement soit la cause immédiate et déterminante du dommage) pour engager la responsabilité pénale de l’auteur du dommage.

Le texte vise deux cas de causalité indirecte :

  • Soit l’agent a « créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage » : on parle d’auteur indirect.
  • Soit l’auteur n’a « pas pris les mesures permettant de l'éviter » : on parle d’auteur médiat. 

Qu’est-ce qu’une faute qualifiée ?

Il existe deux types de fautes qualifiées.

La faute délibérée

Le premier type de faute qualifiée est la « faute de mise en danger délibérée » (imprudence conscience) qui est une violation de façon manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement (le texte énonce : « violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement »).

Il y a donc quatre conditions pour caractériser une faute de mise en danger délibérée :

1. Il faut une obligation de sécurité ou de prudence ;

2. Il faut une obligation qui soit prévue par la loi ou le règlement ;

3. Il faut que l’obligation soit « particulière ». Par exemple, lorsqu’elle exclut toute faculté d’appréciation individuelle. Ex. : Crim., 23 juin 1999, n° 97-85.267.

4. Il faut que l’obligation soit manifestement délibérée : l’agent doit avoir eu une réelle volonté de méconnaître l’obligation.

La faute caractérisée

Le deuxième type de faute qualifiée est la « faute caractérisée » qui est définie par le texte comme la faute « qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ». Cette faute est moins grave que la faute délibérée car elle n’est pas consciente.

C’est par exemple le cas d’un instituteur qui, en laissant les fenêtres de la classe ouvertes en présence des élèves, commet l’infraction d’homicide involontaire à la suite d’une chute d’une élève (Crim., 6 sept. 2005, n° 04-87.778).

Résumé sur la faute non intentionnelle

Pour résumer, une faute simple suffit toujours à engager la responsabilité pénale d’une personne morale.

Pour les personnes physiques, la faute requise varie en fonction du lien de causalité entre le comportement et le résultat :

  • il suffit d'une faute simple en cas de causalité directe ;
  • en revanche, une faute qualifiée (plus grave) est nécessaire en cas de causalité indirecte.

Pourquoi une telle gradation des fautes pour les personnes physiques ? 

La loi Fauchon a souhaité alléger le risque pénal pesant sur les élus locaux (maires) et les chefs d’entreprise en rendant plus difficile l’engagement de leur responsabilité pénale en cas de causalité indirecte entre leur comportement et le dommage subi par la victime (souvent le cas en pratique).

En cas de causalité indirecte, l’exigence d’une faute « qualifiée », plus difficile à retenir qu’une faute simple, conduira fréquemment à la relaxe des élus en tant que personne physique.

J’espère que cet article sur l’élément moral de l’infraction pénale et l’article 121-3 du Code pénal vous aura aidé ! Si c’est le cas, n’hésitez pas à me laisser un commentaire 😊

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  1. Un immense merci, accompagné d’un immense bravo. Cette explication est limpide, claire, simple à propos d’une notion qui ne l’est pas de prime abord !

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