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Le principe de légalité des délits et des peines en droit pénal

• Par Caroline FÉVRIER. Master Droit des affaires (Aix en Provence), Master 2 Droit européen comparé (Paris II), Master du CELSA

• Mise à jour : 30 mars 2023

Nullum crimen, nulla poena sine lege. Cette expression latine pourrait être traduite en français par : il ne peut y avoir aucun crime ni aucune peine sans qu'une loi ne le prévoie.  

Le principe de légalité des délits et des peines, aussi appelé principe de légalité criminelle, est un principe fondamental du droit pénal. Il constitue une garantie contre l’arbitraire du pouvoir judiciaire. Développé au 18e siècle par Montesquieu (L’esprit des lois, 1748) puis par le pénaliste italien Cesare Beccaria (Traité des délits et des peines, 1764), il signifie que les justiciables ne peuvent être condamnés par les juridictions pénales qu'en vertu d'un texte de loi qui doit être suffisamment clair et précis. En cela, il constitue une réaction forte à l’arbitraire de l’Ancien Régime. 

Dans une première partie, nous nous intéresserons au fondement du principe de légalité des délits et des peines, avant d’aborder dans une deuxième partie les conséquences de ce principe sur le juge pénal. Puis, dans une troisième et dernière partie, nous nous intéresserons à l'évolution dans le temps du principe de légalité des délits et des peines. 

I/ Le fondement du principe de légalité des délits et des peines

Le principe de légalité des délits et des peines est inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, notamment dans son article 8 qui dispose que :

 « La loi ne peut établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée »

Cela en fait un principe à valeur constitutionnelle, la DDHC faisant partie du bloc de constitutionnalité. 

Le principe de légalité criminelle a également une valeur conventionnelle. Il est en effet inscrit dans l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose :

« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international »

Repris dans l’article 4 de l’ancien Code pénal, le principe de légalité des délits et des peines est aujourd’hui inscrit à l’article 111-3 du Code pénal : 

Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement.

Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l'infraction est une contravention.

On voit donc que le principe de légalité requiert la réunion de deux conditions cumulatives pour punir un individu :

1) Une infraction définie par la loi ; 

2) Une peine prévue par le législateur, qui s’applique lorsque l’infraction a été commise.

Dans un État de droit, aucun comportement ne peut être punissable s’il n’a pas été préalablement défini comme tel par la loi. De même, aucune peine ne peut être infligée si elle n’a pas été prévue et définie par un texte de loi. 

Certaines précisions doivent ici être apportées. Le terme de légalité, qui fait directement référence à la loi, est utilisé en l’espèce comme un terme générique qui inclut les lois proprement dites (c’est-à-dire les textes votés par le législateur), mais aussi les actes émanant du pouvoir exécutif (c’est-à-dire les décrets, les ordonnances, les arrêtés et les mesures prises par le président de la République en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 16 de la Constitution). 

Ainsi, aux termes de l’article 111-2 du Code pénal (« La loi détermine les crimes et délits et fixe les peines applicables à leurs auteurs. Le règlement détermine les contraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions établies par la loi, les peines applicables aux contrevenants »), les crimes et les délits relèvent de la compétence du Parlement, tandis que les contraventions relèvent de la compétence du gouvernement. 

Pourquoi le principe de légalité des délits et des peines est-il au fondement du droit pénal ?

Ce principe constitue un moyen pour le législateur d’assurer la protection et la sécurité des justiciables, contre tout pouvoir arbitraire. Imaginons qu’il soit possible d’arrêter un individu de manière aléatoire, sans infraction préalable. Cela entraînerait de terribles dérives, en contradiction totale avec les caractéristiques d’un Etat de droit (c’est-à-dire un système dans lequel la puissance publique est soumise au droit). 

Ce régime de l’arbitraire n’est d’ailleurs pas un simple concept. Sous l’Ancien régime, la loi émanait essentiellement des ordonnances royales et les décisions des juridictions pouvaient être modifiées par le roi, ce qui a entraîné la volonté subséquente d’établir une séparation nette des pouvoirs. 

Au-delà de la protection qu’il confère aux justiciables, le principe de légalité est aussi un moyen d’asseoir la légitimité du droit pénal. Dès lors que les valeurs protégées par le droit et les modalités de la répression résultent d’un processus démocratique, on peut penser qu’il sera plus simple pour le corps social d’y adhérer. En d’autres termes : la loi protège le justiciable, et le justiciable est tenu en retour de la respecter. 

L’exigence d’une loi claire et précise

Pour Beccaria, « seules les lois peuvent déterminer les peines et les délits et ce pouvoir ne peut résider qu’en la personne du législateur qui représente toute la société unie par un contrat social ». 

Dans un État de droit, le législateur a donc pour rôle de déterminer les délits et les peines. À ce titre, le Conseil constitutionnel a posé dans la décision n°84-176 DC une exigence de précision et de clarté dans la définition des infractions. Cette exigence signifie qu’une loi qui ne serait ni précise ni claire court le risque d’être censurée. 

La doctrine a longtemps dénoncé les risques que fait courir l’imprécision des lois pénales. Lorsqu’une loi manque de précision, elle induit en effet un risque d’arbitraire, c’est-à-dire d’interprétation subjective. 

II/ Les conséquences sur le juge pénal

Le principe de légalité des délits et des peines a pour conséquence de limiter les pouvoirs du juge, puisque celui-ci ne peut s’appuyer que sur une seule et unique source pour rendre ses décisions : le droit pénal. Cependant, au fil du temps, le juge s’est quelque peu émancipé de cette souveraineté de la loi. Il dispose ainsi du pouvoir d’individualiser les peines, c’est-à-dire d'adapter la sanction prononcée ainsi que ses modalités d'exécution à la personne condamnée. 

L’interprétation de la loi

Le corollaire du principe de la légalité des délits et des peines est l’interprétation stricte de la loi par le juge. Ce principe est prévu à l’article 111-4 du Code pénal qui dispose que : « La loi pénale est d’interprétation stricte ».

Si l’article 111-4 du Code pénal est très succinct, il emporte néanmoins de nombreuses conséquences pour le juge. En premier lieu, il lui interdit d’inventer une infraction pour sanctionner un individu ou d’étendre le champ d’application d’une infraction existante. En second lieu, il prohibe tout recours à l’analogie. L’interdiction de l’analogie signifie que le juge ne peut pas appliquer un texte de loi qui définit et réprime une infraction à une infraction qui lui semble similaire.

Il s’agit là d’une garantie que le juge ne puisse pas sanctionner un justiciable en l’absence de texte de loi en vigueur au moment où il rend sa décision. En effet, en procédant par analogie (donc en appliquant une loi pénale à une infraction qu’elle ne prévoit pas), le juge risquerait de s’ériger en législateur et de sanctionner les individus sans texte de loi, ce qui constituerait une atteinte à la sécurité juridique et une violation au principe de légalité. 

Concrètement, le principe d’interprétation stricte de la loi pénale signifie que le juge doit appliquer le texte de loi et uniquement celui-ci. Pour cela, il doit tirer toutes les conséquences que le législateur a entendu attacher à la loi pénale : ni plus, ni moins. Lorsque la loi manque de clarté et/ou de précision, le juge a la possibilité d’utiliser une méthode d’interprétation dite

« téléologique ». Il s’agit là d’interpréter la loi en fonction de son objet ou sa finalité, à la lumière du contexte dans lequel elle a été rédigée. Le juge doit donc rechercher les objectifs poursuivis par le législateur, en faisant primer l’esprit du texte sur sa lettre. Il se fonde pour cela sur la ratio legis, c’est-à-dire la raison d’être de la loi. 

L’individualisation des peines

Le principe de légalité ne fait pas obstacle à l’individualisation des peines, principe lui-même constitutionnalisé par la décision n°2005-520 DC du 22 juillet 2005. Par conséquent, le principe d’individualisation des peines s'applique même dans le silence de la loi (décision n° 2007-553 du 3 mars 2007). 

Individualiser les peines signifie tout simplement adapter les peines et leurs modalités d’exécution au niveau de gravité des faits incriminés et à la situation de l’individu poursuivi. Ainsi, dans le prononcé de la peine, le juge doit avoir les moyens de prendre en compte la personnalité de l’individu, mais aussi son environnement social, son passé, ses risques de récidive, ses facteurs de réinsertion, etc. Il a en effet été démontré que le risque de récidive était mieux prévenu par l’individualisation de la sanction, une conclusion qui a notamment abouti à l’abrogation des peines planchers par la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines. 

Le cas du harcèlement sexuel : la décision du Conseil Constitutionnel du 4 mai 2012

L’abrogation, le 4 mai 2012, de l’article 222-33 du Code pénal qui sanctionne le délit de harcèlement sexuel est un exemple récent de l’exigence constitutionnelle de légalité des délits et des peines. 

Dans une décision du 4 mai 2012 rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a abrogé l’article 222-33 du Code pénal qui définissait alors le délit de harcèlement sexuel. Pour les Sages, la définition de l’infraction, trop imprécise, ne répondait pas au principe de légalité des délits et des peines prévu par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Retour en arrière. Depuis la loi du 17 janvier 2002, le harcèlement sexuel était alors défini comme « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Or, en ramenant l'élément matériel de l'infraction au seul « fait de harceler autrui », le législateur n’avait pas respecté l'obligation constitutionnelle de définir les infractions avec clarté et précision. 

De jurisprudence constante, il résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen « la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire » (décision n° 80-127 DC du 20 janv. 1981). L’article 222-33 du Code pénal ne permettant pas de déterminer quels étaient les comportements pouvant être sanctionnés pour des faits de harcèlement sexuel, le texte a été abrogé par le Conseil constitutionnel. Il a depuis été remplacé et modifié par la loi du 3 août 2018.

III/ L’évolution du principe de légalité des délits et des peines

Si la raison d’être originelle du principe de légalité émane de la Révolution française, sa signification a évolué au fil du temps. 

Pour les révolutionnaires, seule la loi au sens littéral, considérée comme expression de la volonté générale, devait intervenir en matière pénale. Ainsi, le droit pénal était du monopole de la loi. Comme nous l’avons vu plus haut, le principe de légalité des délits et des peines a évolué depuis la conception qu'en avaient les révolutionnaires. 

Le droit pénal n'émane plus uniquement de la loi. Les conventions et la Constitution, mais aussi les règlements sont aujourd’hui les sources principales du droit pénal. Par ailleurs, la loi n’est plus considérée comme parfaite dans son essence : elle peut manquer de clarté et de précision, ce qui explique le fait qu’elle puisse être contrôlée avant sa promulgation et après son entrée en vigueur. Sans parler de déclin de la loi, celle-ci ne possède plus la puissance qu’elle avait autrefois, au moment de l’inscription du principe de légalité dans le droit. 

Le législateur concède ainsi au juge des pouvoirs de plus en plus étendus. Ainsi, l’importance accordée au principe d'individualisation des peines tend à rétablir une forme modérée d’arbitraire judiciaire : le législateur fixe le minimum et le maximum des sanctions pénales, mais il revient au juge d’adapter la sanction à l’individu. Cette relative liberté du juge ne s'arrête pas au prononcé de la peine : elle se prolonge également au stade de son exécution. 

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