Les critères du contrat de travail ont été posés par la jurisprudence et par la doctrine pour permettre de qualifier le contrat de travail et, ainsi, de le distinguer des autres types de contrats. Ces critères, lorsqu’ils sont réunis, permettent l’application du droit du travail.
I. Présentation des critères du contrat de travail
Il faut distinguer les critères du contrat de travail, qui permettent de le caractériser, de ses caractères.
Les caractères / caractéristiques du contrat de travail
- Le contrat de travail est un contrat commutatif et non aléatoire ce qui signifie que les parties connaissent, dès la conclusion du contrat, l’étendue des prestations ou des avantages qu’elles vont en retirer.
- Le contrat de travail est un contrat synallagmatique ce qui signifie que le salaire suppose une prestation de travail et que la prestation de travail suppose un salaire.
- Le contrat de travail est un contrat conclu inuitu personnae c’est-à-dire conclu en considération de la personne.
Comment distinguer le contrat de travail d’un autre type de contrat ?
Le Code du travail ne donne pas de définition du contrat de travail. La jurisprudence a donc posé les critères permettant de le définir dans un arrêt en date du 22 juillet 1954 :
« Le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s’engage à travailler pour le compte d’une autre (1) et sous sa subordination (3) moyennant une rémunération (3) ».
(Cass. soc., 22 juill. 1954 ; Bull. civ. 1954, IV, n° 476).
D’après la jurisprudence il y a donc trois critères qui caractérisent le contrat de travail : 1. Une prestation de travail, 2. Une rémunération, 3. Un lien de subordination.
Ces trois critères permettent de caractériser, en l’état actuel de la jurisprudence, l’existence d’un contrat de travail mais seul le critère du lien de subordination juridique est décisif (critère prédominant).
Premier critère : Une prestation de travail
La caractérisation d’un contrat de travail suppose l’existence d’une prestation de travail, qui peut être matérielle, intellectuelle, artistique…
Ce critère a pu trouver application dans certains types de contentieux :
Contentieux n°1 : Emploi fictif
Le critère de la « prestation » permet de contourner les situations dites de « travail fictif » : un contrat de travail est conclu, frauduleusement, dans le seul but de bénéficier des règles du droit du travail sans qu’aucune véritable prestation de travail ne soit accompli par celui qui se prétend salarié.
Ex. : Pôle emploi peut invoquer le caractère fictif du contrat de travail et demander soit le remboursement des sommes indument perçues soit refuser le droit à l’allocation de retour à l’emploi (ARE) (CA Paris, 6 février 2020, n° 18/01607).
Contentieux n°2 : Insertion professionnelle / réinsertion sociale
Certaines activités ne permettent pas la qualification de « contrat de travail » en raison de la finalité d’insertion du travail accompli.
Ex. : Les stagiaires ne sont pas liés par un contrat de travail (L.124-7 Code de l’éducation) de même que les personnes incarcérées (L.717-3 Code de procédure pénale) .
Contentieux n°3 : Activité ludique
Pour la Cour de cassation, le critère de la prestation de travail doit s’entendre de la finalité économique de la prestation délivrée par le salarié peu importe que la prestation présente, pour le salarié, un caractère ludique ou exempt de pénibilité (prestation des candidats de télé réalité dans l’émission l’Ile de la tentation (Soc., 3 juin 2009 n°08-40.981 à 08-40.983 / 08-41.712 à 08-41.714).
Deuxième critère : l’existence d’une rémunération
Il ne peut y avoir contrat de travail sans rémunération. La jurisprudence retient une conception extensive de la notion de rémunération :
- Peu importe que le salaire soit versé en espèces ou en nature (Soc., 7 avr. 1994, n° 89-45.796) ;
- Peu importe la qualification donnée par les parties à la rémunération : frais professionnels, rétribution, vacation, prime… et même honoraires (Soc., 14 mars 1991, n° 88-13.069).
La Cour de cassation juge que le versement d’un salaire dérisoire fait obstacle à l’existence d’un contrat de travail (Soc., 9 févr. 2011, n° 09-66.436). Mais la Cour d’appel de Douai s’est récemment prononcée en sens contraire (CA Douai, 6e ch. corr., 10 févr. 2020, n° 19/00137 à propos de la start-up « Click and Walk »).
Troisième critère : L’existence d’un lien de subordination (critère décisif)
Dans l’arrêt « Bardou » la Cour de cassation a jugé que la qualité de salarié ne dépend pas de la situation de dépendance économique dans laquelle il se trouve à l’égard de son cocontractant, mais de la caractérisation d’un lien juridique de subordination avec son donneur d’ordre (Soc. 6 juillet 1931).
La Haute Cour a ensuite précisé comment caractériser ce lien de subordination dans l’arrêt Société générale :
« est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné »
Cass., soc., 13 nov.1996, n° 94-13.187
Pour caractériser un lien de subordination il faut prouver un pouvoir de direction (1), de contrôle (2) et de sanction (3) à partir des indices factuels suivants (méthode dite du faisceau d’indices) :
- Indices révélant une dépendance économique du travailleur ;
- Indices révélant une intégration dans un service organisé par autrui ;
- Indices révélant l’exercice d’une autorité par l’employeur ;
- Indices révélant une répartition des risques de l’activité.
II. Mise en œuvre des critères du contrat de travail par la jurisprudence
Les critères du contrat de travail trouvent à s’appliquer en cas d’action en requalification d’une situation contractuelle en contrat de travail.
Selon une jurisprudence établie fondée sur l’article 12 du Code de procédure civile, l’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont données à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle (Soc., 9 mai 2001, n° 98-46.158).
On peut évoquer certains contentieux importants :
1. Contentieux des émissions de télé réalité
La Cour de cassation a considéré dans certains arrêts que les participants à l’émission de télé-réalité étaient liés à la société de production par un contrat de travail (Cass. soc., 25 juin 2013, n° 12-13.968 et 12-17.660).
2. Contentieux relatifs aux locataires taxi
Une personne exerce les fonctions de chauffeur de taxi en application d’un contrat de « location de véhicule de taxi » conclu avec une société. Certains chauffeurs ont pu faire reconnaître l’existence d’un contrat de travail (V. exemple : Soc., 21 janv. 2015, 13-25.463).
3. Contentieux relatifs aux contrats de collaboration
L’avocat peut conclure un contrat de collaboration (avocat collaborateur) ou conclure un contrat de travail (avocat salarié). Le collaborateur doit bénéficier d’un temps libre pour se constituer sa propre clientèle en ayant le droit d’utiliser les moyens du cabinet (Cass. soc., 9 oct. 2013, n°12-23.718). La jurisprudence utilise un critère fondé sur l’impossibilité de développer sa clientèle personnelle pour différencier ces deux statuts (1ere civ., 14 mai 2009, Soc., 29 mars 2017, 15-29.028).
4. Contentieux relatifs aux travailleurs de « plateforme électronique » comme les chauffeurs VTC
Arrêt Uber : Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13.316
Les chauffeurs VTC exercent généralement leur activité avec le statut indépendant (présomption de travailleur indépendant prévue par l’article L. 8221-6-1 du Code du travail + article L. 7341-1 du Code du travail qui institue des règles spécifiques pour le travailleur indépendant lié contractuellement à une plateforme).
Toutefois, la Cour de cassation a récemment requalifié le contrat qui liait un travailleur à la société UBER en contrat de travail en constatant l’existence d’un lien de subordination. Pour en savoir plus sur ce sujet d’actualité, je vous renvoie à cette note de la Cour de cassation.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation met notamment en avant le critère de l’intégration dans un service organisé pour caractériser le lien de subordination.
Arrêt Take It Easy : Cass. soc. 28 novembre 2018, n° 17-20.079
Elle a également requalifié des contrats de prestation de service conclus entre des coursiers et la société Take It Easy :
Caractérise l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination et partant, d’un contrat de travail, le juge qui constate d’une part, que l’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et, d’autre part, que la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier.
III. Critiques des critères du contrat de travail : La remise en cause du lien de subordination
Certains auteurs estiment que le critère du lien de subordination n’est pas un critère pertinent. Les critiques sont de deux ordres :
1. Certains auteurs remettent en cause la capacité du lien de subordination à « délimiter le champ contemporain du droit du travail ». De nombreux travailleurs, sans être soumis directement à un lien de subordination, « gravitent » dans l’atmosphère du droit du travail1.
2. D’autres estiment que le critère du lien de subordination ne permet pas, à lui seul, de caractériser l’existence d’un contrat de travail.
Ainsi, Emmanuel Dockès propose par exemple de « réévaluer » le critère de la dépendance économique au côté de celui de la subordination juridique.
Christophe Radé propose une nouvelle approche en substituant au critère du lien de subordination le critère de « l’intégration économique ».
L’idée est la suivante : le contrat de travail constitue l’une des modalités juridiques de réalisation d’une activité économique définie comme « le processus qui conduit à la fabrication d’un produit ou à la mise à disposition d’un service ». Mais à la différence des autres contrats, avec le contrat de travail, « le travailleur accepte de consacrer son temps à l’activité économique de son employeur qui devient, par là même, également la sienne ; il va alors se fondre dans son entreprise »2.
Ces critiques n’ont pas été prises en compte par la Cour de cassation qui a réaffirmé avec force l’importance du critère du lien de subordination juridique dans l’arrêt Uber du 4 mars 2020.