Vous trouverez dans ce document un exemple de cas pratique intégralement rédigé en Droit de la famille composé de trois sous cas pratiques, chacun relatif à un thème spécifique du programme de droit de la famille.
Vous avez d’abord l’énoncé du cas pratique, puis la correction détaillée.
Prenez le temps de lire l’énoncé et essayez de le faire dans les conditions de l’examen.
Bon entrainement !
Thèmes traités dans ce cas pratiques :
- L’établissement de la filiation
- La possession d’état
- La contestation de la filiation
- La rupture des fiançailles
- La liberté matrimoniale
- Le mariage incestueux
- L’expertise biologique
Temps de réalisation : environ 3 heures.
I. Énoncé des cas pratiques
Énoncé du cas pratique n°1
Florent COCUL et Mathilde COCUL vivent une parfaite histoire d’amour depuis quelques années. Ils sont mariés depuis quelque temps et viennent d’avoir un enfant. Florent est aux anges : il a toujours rêvé de construire une vie de famille et voilà que le Bon Dieu lui apporte une petite fille magnifique prénommée Emelyne ! Emelyne a été déclarée à l'état civil comme étant née de Madame Mathilde COCUL et Florent COCUL.
Seulement, quelques jours plus tard, il surprend sa femme, bouleversée, en pleine conversation au téléphone avec un homme lui disant « Tu le sais aussi bien que moi, c’est ma fille, pas celle de ton abruti de mari ! Je vais la reconnaitre, tu ne m’en empêcheras pas ! ». Florent, surpris, demande des explications à sa femme qui lui avoue entretenir une liaison depuis plusieurs années avec Jean FOURBE et qu’elle ignore qui de son amant ou de son mari est le véritable père… En tout état de cause, Jean FOURBE a procédé à une reconnaissance de Emelyne et, n'ayant pu faire transcrire cette reconnaissance sur l'acte de naissance de l'enfant, il a assigné le couple en contestation de la paternité de Florent COCUL et en établissement de sa propre paternité.
L’amant, Jean FOURBE, vient vous consulter pour savoir comment il pourrait faire établir sa filiation avec Emelyne.
Énoncé du cas pratique n°2
Stacy NAIVE n’a jamais eu de chances en amour. Elle tombe systématiquement sur des hommes qui la rendent malheureuse. Elle pensait pourtant avoir trouvé l’amour avec Dilan LECHARO avec qui elle était en couple depuis plus d’un an. Celui-ci l’avait même demandé en mariage il y a six mois. Mais il vient de lui apprendre par SMS qu’il la quittait. Très sérieusement, il lui a envoyé le message suivant : « J’ai trouvé une autre fille que j’aime plus que toi. Je suis désolé, mais il va falloir annuler le mariage. Bonne continuation à toi, je suis sûr que tu t’en remettras. Sans rancune. Dilan ». Dans l’entourage de Stacy, personne ne s’attendait à une telle rupture, Dilan LECHARO n’ayant jamais montré un signe de sa volonté de quitter Stacy NAIVE. Le mariage était prévu pour dans quelques semaines seulement, et Stacy NAIVE avait déjà engagé des frais importants : location d’une chapelle, robe de marié, costume pour Dilan, voyage de noces…
Elle vient vous consulter pour savoir si elle peut engager une action contre Dilan LECHARO pour obtenir des dommages et intérêts.
Énoncé du cas n°3
Didier LECHARO (père de Dilan) a épousé Christine JAMBON il y a quelques années. Christine JAMBON avait une fille, Lily JAMBON, âgée de 9 ans au moment de la célébration de leur mariage. Didier et Christine ont finalement divorcé il y a deux ans. Christine, désespérée, vient d’apprendre que Didier et Lily, qui a aujourd’hui 27 ans, viennent de se marier ! Les enfants de Didier LECHARO souhaitent intenter une action en justice afin d’annuler ce mariage.
Une telle action a-t-elle des chances d’aboutir ?
II. Correction des cas pratiques
Annonce de plan / structure du cas pratique : Plusieurs problèmes ressortent du cas pratique et feront l’objet de différentes parties. Il conviendra de traiter d’abord l’établissement de la filiation de Jean FOURBE (cas n°1). Puis nous nous intéresserons à la rupture des fiançailles de Stacy NAIVE (cas n°2). Enfin, nous verrons le cas du mariage incestueux de Didier LECHARO (cas n°3).
Cas n° 1 – Sur l’établissement de la filiation de Jean FOURBE
Faits : Une enfant a été déclarée à l'état civil comme étant née du couple marié, formé par ses parents. Un tiers, l’amant de la femme mariée, estimant être le père biologique de l’enfant a procédé à une reconnaissance de l’enfant et souhaite faire établir sa paternité.
Annonce de plan interne : Pour que l’amant puisse faire établir sa paternité, il doit au préalable contester la filiation déjà légalement établie (I). Il doit également respecter certaines conditions relatives à la contestation de la paternité (II) et à la preuve de la filiation qu’il souhaite faire établir (III).
I. Sur la nécessité d’une contestation préalable de la filiation légalement établie
Problème de droit : La reconnaissance d’une filiation concurrente de celle indiquée sur l’état civil d’un enfant est-elle possible ?
Solution en droit : Une action en contestation de filiation (C.civ., art. 332 à 337) consiste à remettre en cause le lien de filiation maternelle ou paternelle. Une telle action est nécessaire pour établir une filiation qui vient contredire une filiation légalement établie. En effet, l’article 320 du Code civil pose un principe chronologique : « Tant qu'elle n'a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait ».
Or, l’article 312 du Code civil pose une présomption simple de paternité au bénéfice du mari (« L’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari »). Ainsi, il suffit que le nom du mari apparaisse dans l’acte de naissance pour que la filiation soit établie à son égard.
Solution en l’espèce : En l’espèce, Florent et Mathilde sont mariés de sorte que la filiation paternelle de Florent a pu être établie au moment de la naissance de leur fille Emelyne. Cette filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation paternelle à l’égard de Jean FOURBE qui la contredirait. Ce dernier doit d’abord exercer une action en contestation de la paternité du père déclaré.
Conclusion : Pour que la paternité de Jean FOURBE puisse être établie, il est indispensable que celle du mari soit anéantie par le biais d’une action en contestation de la paternité.
II. Sur les conditions de la contestation
Problème de droit : Quelles sont les conditions permettant de contester la paternité d’une personne bénéficiant d’une présomption de paternité ?
Solution en droit : Les conditions de la contestation dépendent de l’existence ou non d’une possession d’état.
Il faut distinguer deux situations différentes :
- Dans la première hypothèse, il existe un titre (présomption légale, acte de naissance, reconnaissance) corroboré par une possession d’état, c’est-à-dire que le parent s’est comporté à l’égard de l’enfant comme tel.
- Dans la seconde hypothèse, il existe un titre (présomption légale, acte de naissance, reconnaissance) non corroboré par une possession d’état, c’est-à-dire que le parent ne s’est pas comporté à l’égard de l’enfant comme tel.
En cas de titre non corroboré par une possession d’état, toute personne qui y a intérêt peut agir (C.civ., art. 334) et l’action doit être intentée dans les dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l’état qu’elle réclame ou qu’elle a commencé à jouir de l’état qui lui est contesté. Ce délai est suspendu à l’égard de l’enfant durant la minorité (C.civ., art. 321).
S’agissant de la preuve, la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père (C.civ., art. 332). La preuve se fait par tous moyens (en pratique, souvent par expertise biologique).
Si la demande aboutit, la filiation est annulée rétroactivement et le juge peut, dans l'intérêt de l'enfant, fixer les modalités des relations de celui-ci avec la personne qui l'élevait (C.civ., art. 337).
La possession d’état est un fait juridique qui consiste, pour un individu, à se comporter comme bénéficiant d’un état, en l’occurrence être l’enfant de tel parent, et d’être considéré comme tel, sans juridiquement disposer de cet état. La possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir (C.civ., art. 311-1). Elle requiert trois éléments constitutifs qui ne sont pas nécessairement cumulatifs : le nomen (le nom), le tractatus (le traitement) et la fama (la renommée).
Elle doit réunir certains caractères (C.civ., art. 311-2) :
- elle doit être continue (la relation doit être établie sur une durée suffisamment significative : Civ. 1ère, 24 mars 1993, 91-18.646),
- paisible,
- publique,
- et non équivoque.
La possession d’état de l’enfant à l’égard du mari de la mère n’est pas paisible lorsque l’amant, ayant reconnu l’enfant moins de trois mois après sa naissance, exerce une action en contestation de paternité (Civ., 1ère 7 nov. 2018, 17-26.445).
Solution en l’espèce : En l’espèce, il existe bien un titre établissant la filiation de Florent à l’égard d’Emelyne, mais la possession d’état ne saurait être caractérisée celle-ci n’étant pas paisible au regard de la reconnaissance et de l’action en contestation de paternité que Jean s’apprête à former, quand bien même les éléments constitutifs seraient réunis. Ainsi, Jean a bien un intérêt à agir et devra intenter son action dans les dix ans à compter de la naissance d’Emelyne. Il pourra donc former une action en contestation de paternité.
III. Sur la preuve de la filiation
Problème de droit : Par quels moyens peut-on prouver et contester une filiation paternelle ?
Solution en droit : L’article 310-3 du Code civil prévoit qu’en cas d’action engagée en matière de filiation, la filiation se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l'action. L’article 332 du Code civil ajoute que la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père.
En pratique, la preuve prendra souvent la forme d’une expertise biologique (C.civ., art. 16-11), celle-ci étant de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder (Ass. plén., 23 nov. 2007, n° 05-17.975, 06-10.039). Elle peut être ordonnée d’office (Civ., 1ère, 14 déc. 1990, n° 88-15.809).
Il existe toutefois plusieurs hypothèses dans lesquelles le juge doit refuser de l’ordonner :
- en cas de « motif légitime de ne pas y procéder » (Civ. 1ère, 28 mars 2000, n° 98-12.806)
- lorsqu’elle constitue manifestement qu’une manœuvre dilatoire (Civ. 1ère, 14 juin 2005, n° 03-19.325).
- lorsque la procédure a été intentée par des personnes non attitrées, c’est-à-dire ne disposant pas du droit d’agir (Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 02-18.654).
Solution en l’espèce : En l’espèce, Jean FOURBE semble bien avoir un motif légitime de procéder à une expertise biologique en raison de la relation qu’il a entretenu durant quelques années avec Mathilde. Puisqu’il est recevable en son action comme il l’a été précédemment démontré, il pourra bénéficier de la preuve par expertise biologique.
Conclusion : L’expertise biologique ordonnée par le juge permettra de déterminer la filiation paternelle.
Cas n° 2 – Sur la rupture des fiançailles de Stacy NAIVE
Faits : Un homme a mis fin aux fiançailles par SMS quelques semaines avant la date prévue pour le mariage.
Problème de droit : Le fiancé rompant les fiançailles peut-il être condamné au versement de dommages et intérêts ?
Solution en droit : Les fiançailles se distinguent du mariage. Elles constituent simplement une promesse réciproque de mariage, mais ne créent pas d’obligation juridique entre les futurs époux.
En principe, les fiancés sont libres de rompre leurs fiançailles en vertu du principe de liberté matrimoniale prévu par l’article 12 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, la Cour de cassation juge que « la rupture d'une promesse de mariage n'est pas, à elle seule, génératrice de dommages-intérêts » (Civ. 1ère, 4 janv. 1995, n° 92-21.767 et arrêt de principe « Bouvier » du 30 mai 1838).
Par exception, la rupture fautive des fiançailles permet d’engager la responsabilité civile de son auteur sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. Il faut prouver un préjudice (matériel ou moral), un lien de causalité et une faute.
S’agissant de la faute, il ressort de la jurisprudence qu’elle provient souvent, comme en matière de cessation de pourparlers contractuels, de la rupture brutale des fiançailles peu de temps avant la cérémonie du mariage. À titre d’exemple, une Cour d’appel a retenu une faute pour une rupture intervenue à l'initiative de du fiancé seulement 23 jours avant le mariage, alors que les fiançailles remontaient à près de huit mois, qu'elles avaient été mûrement réfléchies, ayant été précédées d'une relation de deux années, et que les fiancés avaient acquis, depuis près d'un mois, une maison en indivision dans la perspective de s'y installer (CA, Colmar, 3 mai 2019, n° 17/03733).
S’agissant du préjudice, le ou la fiancé(e) éconduit(e) devra prouver le préjudice matériel (frais engagés pour le mariage) et/ou moral.
Solution en l’espèce : En l’espèce, Dilan LECHARO a mis fin aux fiançailles de manière brutale puisqu’il a procédé par SMS sans donner d’explication sur les causes de cette rupture et peu de temps avant la cérémonie du mariage. La faute pourrait donc être caractérisée. S’agissant du préjudice, il est indiqué que Stacy NAIVE avait déjà engagé des frais importants (location d’une chapelle, robe de marié, costume pour Dilan, voyage de noces). Ce préjudice est sans aucun doute en lien avec la faute.
Conclusion : Stacy NAIVE pourra engager la responsabilité civile de Dilan LECHARO et obtenir des dommages et intérêts en réparation de son préjudice.
Cas n° 3 – Sur le mariage incestueux de Didier LECHARO
Faits : Un homme antérieurement marié a épousé, quelques années plus tard, la fille de sa précédente épouse.
I. Sur la condition relative à la prohibition de l’inceste
Problème de droit : Un mariage peut-il être valablement conclu avec l’ascendant d’un précédent fiancé ?
Solution en droit : Il existe des cas d’empêchements au mariage parmi lesquels figure la prohibition de l’inceste. Ainsi, l’article 161 du Code civil prohibe le mariage en ligne directe entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne. Les alliés en ligne directe sont le beau-père, la belle-mère, le beau-fils (ou gendre) et la belle-fille (ou bru). Ainsi, le mariage avec l’ascendant d’un ancien conjoint est prohibé.
L’annulation du mariage entre alliés en ligne directe ne doit toutefois pas constituer une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des époux garanti par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au regard du but légitime poursuivi (Civ. 1ère, 8 oct. 2016, n° 15-27201).
Il existe toutefois une exception prévue par l’article 164 du Code civil qui prévoit qu’il est loisible au Président de la République de lever, pour des causes graves, les prohibitions portées aux mariages entre alliés en ligne directe lorsque la personne qui a créé l'alliance est décédée.
Solution en l’espèce : En l’espèce, il existe entre Didier LECHARO, ancien époux de Christine JAMBON et Lily JAMBON, fille de Christine JAMBON, un lien d’alliance de sorte que le mariage peut faire l’objet d’une annulation. Par ailleurs, il ne semble pas qu’il existe une cause grave qui permettrait de faire jouer l’exception prévue par l’article 164 du Code civil.
Conclusion : Le mariage entre Didier LECHARO et Lily JAMBON peut être annulé sur ce fondement.
II. Sur les conditions de l’action en nullité du mariage
Problème de droit : Un mariage peut-il être valablement conclu avec l’ascendant d’un précédent fiancé ?
Solution en droit : Au sein des nullités, on distingue la nullité relative qui a vocation à protéger un intérêt privé de la nullité absolue, fondée sur l’ordre public, qui a vocation à protéger l’intérêt général. La nullité absolue est encourue en cas d’inceste (C.civ., art. 161, 162, 163 et 184).
En cas de nullité absolue, les personnes pouvant demander la nullité sont :
- les époux, le premier époux en cas de bigamie, les père et mère et autres ascendants ;
- toute personne qui y a intérêt (les collatéraux, les enfants nés d’un précédent mariage, les créanciers) uniquement en cas d’intérêt pécuniaire (C.civ., art. 187) ; - le ministère public uniquement du vivant des époux (C.civ., art. 190).
La prescription de l’action est de trente ans à compter de la célébration du mariage (C.civ., art. 184 et 191).
L’annulation entraine la disparition rétroactive du mariage.
Solution en l’espèce : En l’espèce, s’agissant d’un cas d’inceste, il s’agit d’une nullité absolue et toute personne qui y a intérêt pourra agir ce qui permettra aux enfants de Didier LECHARO d’intenter l’action en nullité.
Conclusion : Le mariage entre Didier LECHARO et Lily JAMBON pourra être annulé.
Vos conseils sont bons. Même si, j'etudie le droit ivoirien en Côte d'Ivoire. 🙂
Merci
super efficace et complet
Vraiment Monsieur, vos conseils sauveront mes examens ! Vous expliquez très bien, merci beaucoup !
Merci, heureux que ça puisse vous être utile 🙂