Dans ce cours, nous allons voir tout ce qu’un étudiant en droit doit connaître en première année de droit sur la notion de « fait majoritaire » en vue des partiels de droit constitutionnel !
I - Définition du fait majoritaire
• Qu’est-ce que le fait majoritaire ?
En droit constitutionnel français, la doctrine utilise l’expression « fait majoritaire » pour désigner la présence au sein de l’Assemblée nationale d’une majorité de députés appartenant au même parti où à la même coalition de partis et qui soutient le Gouvernement, et « se comportant de manière disciplinée » (A. Le Divelec), notamment à travers ses votes.
Certains auteurs prennent l’image d’une « soudure » entre le gouvernement et la majoritaire parlementaire. Cette image permet d’illustrer les liens entre les députés et les membres du gouvernement qui appartiennent au même courant politique. Le gouvernement bénéficie ainsi du soutien d’une majorité parlementaire stable et fidèle, celle-ci se comportant de manière disciplinée.
Prenons un exemple concret.
Au lendemain des élections législatives de 2017, le groupe de députés appartenant au parti politique « La République en marche » comptait 314 membres sur 577 députés, soit une majorité absolue.
• Peut-on parler de fait majoritaire en cas de simple majorité relative à l’Assemblée nationale ?
Pour rappel, la majorité absolue correspond à la moitié des suffrages exprimés plus un si leur nombre est pair ou, si leur nombre est impair, égale à la moitié du nombre pair immédiatement supérieur. La majorité absolue correspond donc à 290 députés.
La majorité relative est acquise pour un groupe de personnes qui a le plus grand nombre de membres par rapport aux autres groupes, mais qu'il représente moins de la moitié des gens qui siègent à l'assemblée.
Le groupe « Ensemble » ne représente actuellement qu’une majorité relative à l’Assemblée nationale depuis les élections législatives de juin 2022.
Le fait majoritaire vise la situation d’une « majorité absolue » à l’Assemblée nationale. Le professeur Denis Baranger précise que « Le fait majoritaire se comprend donc comme une prime majoritaire au camp présidentiel lui donnant accès à une majorité absolue ».
• Distinction fait majoritaire / fait majoritaire présidentiel.
Cette « « soudure » (J. Gicquel, Essai sur la pratique de la Ve République. Réflexions sur la seconde décennie du régime, LGDJ, 1977, p. 328) concerne les rapports entre le gouvernement et la majorité parlementaire et non le président de la République. Il faut donc distinguer la notion de fait majoritaire présidentiel de celle de fait majoritaire.
L’expression de « fait majoritaire présidentiel » signifie que la majorité à l’Assemblée nationale est de la même couleur politique que le président de la République. En période de concordance des majorités, le président de la République devient alors, en fait, le véritable chef du gouvernement. Le fait majoritaire joue alors en faveur du président de la République. En période de cohabitation, à l’inverse, la majorité parlementaire joue contre le président de la République, puisque cette dernière est liée au gouvernement.
II – Origine du fait majoritaire
La Constitution de 1958 a été pensée pour permettre au Gouvernement de « gouverner », c’est-à-dire de mettre en œuvre sa politique, dans le contexte de la IVème République qui connaissait les excès du régime d’assemblée et la forte instabilité ministérielle en découlant.
Les constituants ont donc souhaité rééquilibrer les institutions au profit du pouvoir exécutif, ce qui s’est traduit par l’amenuisement des pouvoirs du Parlement et par la consécration d’un parlementarisme rationalisé. Cette rationalisation du régime parlementaire de la Ve République se manifeste par un ensemble de dispositions dans la Constitution ayant pour but d’encadrer les pouvoirs du Parlement pour permettre au gouvernement de mettre en œuvre sa politique.
Par exemple, l’encadrement juridique strict du mécanisme de la motion de censure est un mécanisme de rationalisation (Const., article 49 alinéa 2 et alinéa 3).
Le fait majoritaire n’avait pas été envisagé (le professeur A. Le Divelec parle de « cadeau de l’histoire », Julie Benetti évoque le « miracle majoritaire »), ce qui explique que, pour permettre le fonctionnement des institutions, le constituant comptait principalement sur les mécanismes de rationalisation. En d’autres termes (et pour simplifier), les constituants ont envisagé des « armes » pour permettre au gouvernement de mettre en œuvre sa politique sans envisager qu’une majorité parlementaire allait pouvoir naturellement apparaître et soutenir la politique du gouvernement.
La doctrine considère que le phénomène majoritaire apparait pour la première fois en automne 1962 à la suite des résultats de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée le 9 octobre 1962 par le général de Gaulle. Depuis les élections législatives de 1962, l’ensemble des gouvernements ont bénéficié d’une majorité à l’Assemblée nationale. Toutefois, pour la première sous la Vème République, les élections législatives de 2022 ont abouti à une majorité relative avec 234 sièges pour la majorité présidentielle. Si, en 1988, le PS n’avait pas obtenu la majorité absolue avec 275 sièges, la majorité absolue était plus facilement atteignable, car la « polarisation partisane » était moins importante (des alliances étaient donc plus probables qu’actuellement).
III - Causes du fait majoritaire
Pourquoi le fait majoritaire est-il apparu ?
Aucune réponse satisfaisante ne peut véritablement être donnée ! De nombreux débats doctrinaux existent s’agissant des causes du fait majoritaire, certains cherchant des raisons dans les règles constitutionnelles et le fonctionnement des institutions, d’autres dans la pratique. Le professeur Le Divelec parle ainsi de « cadeau de l’histoire » et Julie Benetti, professeur de droit public, utilise l’expression de « miracle majoritaire » qui résiste « à toute tentative de systématisation ».
La doctrine évoque toutefois plusieurs raisons permettant d’expliquer l’apparition de ce phénomène.
1 – Le mode de scrutin
Le fait majoritaire serait en partie la conséquence du mode de scrutin instauré pour les élections législatives. En effet, le scrutin uninominal majoritaire à deux tours a tendance à favoriser la bipolarisation de la vie politique (voir le bipartisme) en ce qu’il entraine des alliances au second tour. Cette bipolarisation favorise l’existence d’une majorité parlementaire stable et disciplinée.
2 – L’inversion du calendrier électoral en 2001
Le 2 octobre 2000 une révision constitutionnelle a remplacé le septennat par le quinquennat s’agissant de la durée du mandat du président de la République. Cette réforme constitutionnelle s’est accompagnée d’une loi organique du 15 mai 2001 qui a procédé à une « inversion du calendrier électoral » en prévoyant que les élections législatives suivront systématiquement la présidentielle. Ainsi, les électeurs ont tendance, par cohérence, à se prononcer dans le même sens qu’aux élections présidentielles lors des élections législatives. Cette idée est à nuancer comme l’ont prouvé les dernières élections législatives de juin 2022.
3 – La mutation des comportements politiques
Certains auteurs mettent en avant la « mutation des comportements politiques » en expliquant que le fait majoritaire serait dépendant du jeu politique (LPA 10 juill. 2008, n° PA200813804, p. 20).
IV - Les conséquences / effets du fait majoritaire
Le fait majoritaire produit des conséquences importantes sur le fonctionnement des institutions de la Vème république, en atténuant le caractère parlementaire du régime.
De manière générale, il transforme les conditions du fonctionnement du travail parlementaire et la relation entre le pouvoir exécutif et le Parlement.
1 – Le présidentialisme en période de concordance des majorités
On parle de « présidentialisme » pour évoquer le régime de la Vème République. Il s’agit d’un régime caractérisé par la prépondérance de fait d’un président de la République politiquement en harmonie avec une majorité parlementaire, ce qui lui confère le statut de chef de la majorité parlementaire.
Le fait majoritaire, en période de concordance des majorités, bouleverse l’équilibre des pouvoirs au détriment du Parlement. Le président de la République devient le véritable chef de l’exécutif (et non le Premier ministre) sans pourtant être responsable devant le Parlement.
2 – Le déclin du Parlement
Le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale en droit, mais en fait il ne l’est que devant le président de la République puisque le fait majoritaire rend impossible l’adoption d’une motion de censure (la majorité soutient le gouvernement donc n’a pas intérêt à le renverser).
Le Parlement, en période de concordance des majorités, soutient l’activité du gouvernement et n’exerce plus sa mission de contrôle nécessaire à l’équilibre des pouvoirs.
Certains auteurs utilisent le terme de « chambre d'enregistrement » pour désigner une Assemblée nationale sans influence notable sur la vie politique se contentant de voter les lois décidées par le pouvoir exécutif.
La réforme de 2008, prenant acte de cette évolution, a d’ailleurs souhaité rééquilibrer les institutions de la Vème république en les modernisant.
3 – La distinction entre majorité et opposition parlementaire
Le fait majoritaire bouleverse l’équilibre institutionnel, car le Parlement soutient et collabore avec le Gouvernement au lieu d’exercer sa mission de contrôle.
Le contre-pouvoir devient donc l’opposition parlementaire. C’est ce qui explique que la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 ait souhaité justement rééquilibrer les institutions au profit du Parlement et en accordant des droits à l’opposition.
Par exemple, la réforme constitutionnelle de 2008 a mis en place l'obligation de réserver une séance par mois à un ordre du jour à l'initiative des groupes d'opposition ou minoritaires (Const., art. 48).
V – Une remise en cause du fait majoritaire ?
Le fait majoritaire est un phénomène qui semble avoir été remis en cause par le résultat des élections législatives de juin 2022.
Pour la première fois sous la Vème République, les élections législatives de 2022 ont abouti à une majorité relative avec 234 sièges pour la majorité présidentielle. Si, en 1988, le PS n’avait pas obtenu la majorité absolue avec 275 sièges, la majorité absolue était plus facilement atteignable, car la « polarisation partisane » était moins importante (des alliances étaient donc plus probables qu’actuellement).
Cette situation constitue une hypothèse atypique puisqu’il ne s’agit ni d’une véritable « concordance des majorités » (à défaut de majorité absolue) ni d’une cohabitation.
VI - Bonus : Exemple de dissertation sur le fait majoritaire (introduction et plan)
💡 Cette partie est réservée aux étudiants de l'Académie L1.
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