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L’arrêt Fraisse du 2 juin 2000

Par R. BRIGUET-LAMARRE. Enseignant, diplômé de l'école de formation du barreau de Paris (CAPA), Master 2 DPRT (Paris II)

• Publication : 23 août 2022

• Mise à jour : 10 janvier 2024

Assemblée plénière, du 2 juin 2000, 99-60.274, Affaire Pauline Fraisse

L’arrêt Fraisse du 2 juin 2000 rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation constitue un arrêt important du programme de la première année de droit. Cet arrêt porte sur le thème de la hiérarchie des normes (et de la pyramide de Kelsen) et, plus particulièrement, sur la place des normes internationales et constitutionnelles au sein de la hiérarchie des normes.  

Dans l’arrêt Fraisse, la Cour de cassation pose la solution de principe selon laquelle en cas de contrariété entre la Constitution et une norme internationale ou européenne, la Constitution l’emporte devant le juge judiciaire. Elle reprend ainsi la solution posée par le Conseil d’état quelques années plus tôt dans l’arrêt Sarran du 30 octobre 1998.

Dans cet article nous allons réaliser la fiche de l’arrêt Fraisse, puis expliquer le sens, la valeur et la portée de ce célèbre arrêt. 

1 – Fiche de l’arrêt Fraisse

Faits de l’arrêt Fraisse

Une habitante de Nouvelle-Calédonie (Mlle Pauline Fraisse) a sollicité son inscription sur la liste des électeurs admis à participer à l'élection du congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie, prévue à l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999.

La commission administrative de Nouméa a rendu une décision par laquelle elle a refusé son inscription sur ladite liste. 

💡 Pour mieux comprendre la place particulière de la Nouvelle-Calédonie dans la Constitution…

Dans les années 1980, la situation politique tendue en Nouvelle-Calédonie opposant les indépendantistes et les loyalistes débouche sur l’accord de Nouméa signé le 5 mai 1998. Cet accord prévoyant le transfert de certaines compétences importantes de la France vers la Nouvelle-Calédonie dans de nombreux domaines contrevenait à certains principes constitutionnels comme le principe de l'indivisibilité de la République et la règle selon laquelle « sont électeurs tous les nationaux français », ce qui a nécessité une loi constitutionnelle. 

La loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie, a intégré dans la Constitution un titre XIII intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie » comprenant les articles 76 et 77 de la Constitution. Ces articles renvoient à la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

L’article 76 prévoyait notamment l’organisation d’un scrutin électoral (« Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 »). Mlle Fraisse souhaitait participer aux élections locales permettant de désigner les membres des nouvelles institutions néo-calédoniennes (le congrès et les assemblées de province), mais elle résidait sur l’île depuis seulement 6 ans (au lieu des 10 ans exigés). 

Procédure et prétentions de l’arrêt

1- Tribunal de première instance. Cette habitante de Nouvelle-Calédonie a formé une requête devant le Tribunal de première instance de Nouméa pour demander l'annulation de la décision de la commission administrative de Nouméa ayant refusé son inscription sur la liste des électeurs.

Le 3 mai 1999, le Tribunal de première instance de Nouméa, a rejeté sa requête en se fondant notamment sur l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie qui pose une condition tenant à un domicile de dix ans sur le territoire pour participer à l'élection.

2- Pourvoi en cassation. La femme a alors formé un pourvoi contre l’arrêt devant la Cour de cassation. Elle reproche à la juridiction de première instance :

• D’avoir refusé d’exercer un contrôle de conventionnalité de l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie au regard des certaines normes internationales (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, traité de l'Union européenne du 7 février 1992), l'article 188 étant contraire à ces normes internationales en tant qu'il exige d'un citoyen de la République française un domicile de dix ans pour participer à l'élection des membres d'une assemblée d'une collectivité de la République française.

• De n’avoir pas, à titre subsidiaire, procédé à un renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice des Communautés européennes s’agissant de la compatibilité de l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 avec l'article 6 du traité de l'Union européenne. 

💡 Pourquoi aucune Cour d’appel n’a rendu d’arrêt dans l’affaire Fraisse ? Aucune indication n’est donnée dans l’arrêt, mais on peut supposer que le jugement rendu par le Tribunal de première instance de Nouméa a été rendu en premier et dernier ressort

Problème de droit

Une norme constitutionnelle peut-elle faire l’objet d’un contrôle de conventionnalité par le juge judiciaire ? 

Solution de l’arrêt Fraisse

L’assemblée plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt par Mlle Fraisse en retenant d’abord que le droit de Mlle Fraisse d’être inscrite sur les listes électorales n'entre pas dans le champ d'application du droit communautaire.

Par ailleurs, elle juge que l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 prévoyant la nécessité de justifier d'un domicile dans le territoire de Nouvelle-Calédonie depuis dix ans a valeur constitutionnelle.

Enfin, elle juge que la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s'applique pas dans l'ordre interne aux dispositions de valeur constitutionnelle. Ainsi, elle juge que le moyen du pourvoi selon lequel les dispositions constitutionnelles seraient contraires aux normes internationales doit être écarté. C’est ce dernier point qui constitue l’apport principal de l’arrêt Fraisse.

Passons, après cette fiche de jurisprudence de l’arrêt Fraisse, au sens, à la valeur et à la portée de la décision.

2 – Sens, valeur et portée de l’arrêt Fraisse

💡 Consultez l’article sur le sens, la valeur et la portée en commentaire d’arrêt pour perfectionner vos connaissances. 

Sens de l’arrêt Fraisse

Deux intérêts juridiques principaux ressortent de l’arrêt Fraisse : 

1. Une norme de valeur constitutionnelle peut, en procédant à un renvoi, conférer une valeur constitutionnelle à une norme (la « constitutionnalisation en cascade »).

L'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 qui détermine les conditions de participation à l'élection du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie prévoyait la nécessité de justifier d'un domicile dans ce territoire depuis dix ans à la date du scrutin.

Cet article reprend les termes du paragraphe 2.2.1 des orientations de l'accord de Nouméa, directement visé par l’article 77 de la Constitution et qui a donc lui-même valeur constitutionnelle.

Certains auteurs utilisent l’expression de « constitutionnalisation en cascade » (P. Jan, L’immunité juridictionnelle des normes constitutionnelles, LPA 2000, n° PA200024603, p. 11) pour expliquer qu’une disposition contenue dans un texte de valeur juridique supérieure peut, par l’effet d’un renvoi, conférer une force juridique égale à la sienne.

Dans l’affaire Fraisse, l'article 77 de la Constitution renvoie à une loi organique, dont l'objet est notamment d'arrêter les règles applicables à la composition du corps électoral pour les élections locales de Nouméa dans le « respect des orientations définies par l'accord de Nouméa ». La loi organique a donc la même valeur que l’accord de Nouméa. Or, l’accord de Nouméa a valeur constitutionnelle selon le Conseil constitutionnel, ce qui signifie que la loi organique, selon l’assemblée plénière de la Cour de cassation, a également valeur constitutionnelle.

Ce raisonnement avait déjà été retenu par le Conseil d’état dans l’arrêt Sarran du 30 octobre 1998, puisque les juges du Palais-Royal avaient considéré que l’article 2 de la loi organique avait valeur constitutionnelle en raison du renvoi opéré par l'article 76 de la Constitution.

C’est sur ce point que se situe le principal apport de l’arrêt, car la Cour de cassation s’était fondée dans l’arrêt Levacher du 17 février 1999 sur des normes constitutionnelles pour rejeter un contrôle de conventionnalité, mais jamais sur une norme visée par une norme constitutionnelle.

2 – Les normes constitutionnelles l’emportent sur les normes internationales (la primauté de la Constitution). 

C’est sur ce point que se situe l’apport principal de l’arrêt. La Cour de cassation juge dans l’affaire Fraisse que « la suprématie conférée aux engagements internationaux » ne s'applique pas « dans l'ordre interne aux dispositions de valeur constitutionnelle ».

Elle affirme ainsi la supériorité de la Constitution sur les normes internationales dans la hiérarchie des normes.

L’assemblée plénière reprend presque la même formulation utilisée par le Conseil d’état dans l’arrêt Saran rendu en 1998 (« la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle... »).

En cas de contrariété entre une norme constitutionnelle et un texte international, le juge judiciaire doit écarter la norme internationale. La juridiction suprême de l’ordre judiciaire affirme ainsi la primauté de la Constitution dans la hiérarchie des normes et confère une « immunité juridictionnelle » aux normes constitutionnelles. 

Valeur et portée de l’arrêt Fraisse

L’arrêt Fraisse semble juridiquement justifié sur plusieurs points. 

1 – S’agissant de la consécration du mécanisme de la « constitutionnalité en cascade », la décision de la Cour de cassation semble justifiée, car conforme à la décision du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999 qui avait déjà intégré au sein du bloc de constitutionnalité l’accord de Nouméa (Cons. Const., décisions n° 99-409 DC et n° 99-410 DC du 15 mars 1999).

2 – S’agissant de l’affirmation de la primauté de la Constitution. La solution de l’arrêt Fraisse, consistant à poser la supériorité de la Constitution sur les normes internationales semble juridiquement fondée.

D’abord, cette solution est conforme à la lettre de la Constitution. L’article 55 de la Constitution ne confère aux engagements internationaux régulièrement ratifiés une autorité supérieure qu’à celle des lois. Quant à l’article 54 de la Constitution, il pose la primauté de la Constitution dans l’ordre interne en imposant la révision de la Constitution comme préalable à la ratification d'un traité qui lui est incompatible (si un « engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après la révision de la Constitution »).

💡 La Constitution a par exemple été révisée le 23 février 2007 pour permettre la ratification d'un protocole au Pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques relatif à l'abolition de la peine de mort. Le pouvoir constituant a le dernier mot puisqu’il choisit ou non de modifier la Constitution. 

On peut toutefois noter que certaines dispositions du bloc de constitutionnalité auraient pu soutenir la solution inverse, l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 prévoyant que « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles de droit public international ».

Ensuite, si le juge judiciaire s’accordait le pouvoir d’écarter une norme constitutionnelle en se fondant sur un texte international par le biais d’un contrôle de conventionnalité, cela reviendrait à accorder à un juge le pouvoir de modifier la Constitution sans passer par les procédures de révision prévues par la Constitution. 

En outre, certains auteurs notent qu’il semble légitime, dans une démocratie constitutionnelle, de placer la Constitution au-dessus des traités internationaux, en raison de la souveraineté du pouvoir constituant. 

Enfin, la Cour de cassation ne vise que « l’ordre interne » dans l’arrêt Fraisse (« (…) ne s'appliquant pas dans l'ordre interne aux dispositions de valeur constitutionnelle (…) »), ce qui signifie que la France peut engager sa responsabilité au niveau international. En d‘autres termes, dans l’ordre juridique international, une disposition constitutionnelle contraire à une disposition d’un traité international peut conduire à une condamnation de la France. Il y a donc une dualité des ordres juridiques (B. De Lamy, P. Deumier, La hiérarchie des normes : une pyramide à géométrie variable, LPA 2000, p 8).  

3 - Synthèse / résumé de l’arrêt Fraisse

Une citoyenne de Nouméa, n’ayant pas obtenu l’autorisation de participer à des élections locales, invoquait les dispositions de plusieurs normes internationales et communautaires pour contester l’application des dispositions d’une norme constitutionnelle devant le juge judiciaire. La juridiction de première instance n’ayant pas fait droit à ses demandes, elle a formé un pourvoi contre l’arrêt devant la Cour de cassation.

Avec l’arrêt Fraisse, la Cour de cassation affirme qu’en cas de conflit entre la Constitution et une norme internationale ou communautaire, la norme constitutionnelle l’emporte devant le juge judiciaire. Elle pose la primauté de la Constitution sur les conventions internationales, tout comme le Conseil d’État quelques années plus tôt dans l’arrêt Sarran.

Le juge judiciaire ne peut donc pas procéder à un contrôle de conventionnalité d’une norme constitutionnelle. La norme constitutionnelle bénéficie ainsi d’une « immunité juridictionnelle ». 

4 - Arrêts importants sur le thème de la hiérarchie des normes (tableau récapitulatif)

L’arrêt Fraisse s’inscrit dans une série de décisions rendues par les juridictions administratives et judiciaires relatives au thème de la hiérarchie des normes. Voici un tableau récapitulatif pour y voir plus clair :

Nom et références de l'arrêt

Solution de l'arrêt

Arrêt dit « Nicolo » (Conseil d’État, Ass., 20 octobre 1989, n°108-243)

Dans l’arrêt Nicolo, le Conseil d’État (juge administratif):

• accepte de procéder à un contrôle de conventionnalité en écartant les dispositions prévues par une loi interne sur le fondement des dispositions d’un traité international.

• juge que conformément à l’article 55 de la Constitution un traité international a une valeur juridique supérieure à une loi interne.

Arrêt dit « Jacques Vabre » (Cour de cassation, Chambre MIXTE, 24 mai 1975, 73-13.556)

Dans l’arrêt Jacques Vabre, la Cour de cassation (juge judiciaire) :

• accepte de procéder à un contrôle de conventionnalité en écartant les dispositions prévues par une loi interne sur le fondement des dispositions d’un traité international.

• juge que conformément à l’article 55 de la Constitution un traité international a une valeur juridique supérieure à une loi interne.

Arrêt dit « Sarran » (Conseil d’État Ass., 30 oct. 1998, 200286 200287)

Dans l’arrêt Sarran, le Conseil d’État pose la solution de principe selon laquelle en cas de conflit entre la Constitution et une norme internationale ou européenne, la Constitution l’emporte devant le juge administratif. Il reconnait ainsi la primauté dans l’ordre interne de la Constitution sur les conventions internationales.

Arrêt dit « Fraisse » (Assemblée plénière, du 2 juin 2000, 99-60.274, Affaire Pauline Fraisse)

Dans l’arrêt Fraisse, la Cour de cassation pose la solution de principe selon laquelle en cas de contrariété entre la Constitution et une norme internationale ou européenne, la Constitution l’emporte devant le juge judiciaire.

La décision dite « IVG » est une décision rendue par le Conseil constitutionnel relative à la loi Veil consacrant l’avortement dans laquelle le Conseil constitutionnel refuse de se déclarer compétent pour exercer le contrôle de conventionnalité. 

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