Blog Droit de la responsabilité civile  L’arrêt Blieck du 29 mars 1991

Arrêt Blieck 29 mars 1991 - aideauxtd.com

L’arrêt Blieck du 29 mars 1991

Par R. BRIGUET-LAMARRE. Enseignant, diplômé de l'école de formation du barreau de Paris (CAPA), Master 2 DPRT (Paris II)

• Publication : 3 juillet 2020

• Mise à jour : 10 mars 2023

L’arrêt Blieck (Assemblée plénière, 29 mars 1991, 89-15.231) rendu par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation est un arrêt fondateur de la responsabilité générale du fait d’autrui

Alors que toutes les tentatives, notamment jurisprudentielles, pour admettre la possibilité d’un principe général du fait d’autrui, s’étaient heurtées au refus catégorique de la Cour de cassation, l’assemblée plénière rendit, le 29 mars 1991, un arrêt qui devait consacrer l’avènement d’un principe général de responsabilité civile du fait d’autrui.

Plus exactement, elle admit que l’alinéa premier de l’article 1384 du Code civil puisse servir à fonder une responsabilité du fait d’autrui dans de nouvelles hypothèses. On parle d’abandon du caractère limitatif de l’ancien article 1384 alinéa 1er du Code civil (Cciv., art. 1242 al. 1er nouveau).

Faits, procédure et prétentions des parties

Un jeune handicapé mental, placé dans un centre d’aide par le travail géré par une association, a mis le feu à une forêt voisine, appartenant aux consorts Blieck.

En première instance, le centre fut condamné à verser des dommages et intérêts sur le fondement d’une faute de surveillance.

La cour d’appel saisie, prenant en compte cet élément, confirma la solution rendue par la juridiction de première instance en précisant que la méthode de traitement utilisée était « génératrice d’un risque tant pour les biens que pour les personnes » et « ne saurait avoir pour conséquence des dommages non réparables alors que le principe de l’indemnisation des victimes s’inscrit désormais dans l’éthique politique et sociale » (Cour d’appel de Limoges, du 23 mars 1989).

L’association forma un pourvoi contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Limoges, lui reprochant d’avoir prononcé une condamnation à des dommages-intérêts par application de l’article 1384, alinéa 1er du Code civil, alors qu’il n’y aurait de responsabilité du fait d’autrui que dans les cas prévus par la loi. Or, la cour d’appel n’aurait pas constaté à quel titre l’association devrait répondre du fait des personnes qui lui sont confiées. En d’autres termes, le pourvoi insistait sur le caractère strictement limitatif des cas de responsabilité du fait d’autrui prévus par le Code civil.

Problème de droit et solution de l’arrêt Blieck

La question qui se posait à la Cour de cassation était la suivante :

Un centre éducatif spécialisé peut-il être reconnu responsable, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er, du fait des dommages causés par une personne dont il assure la prise en charge ?

Contre toute attente, l’assemblée plénière de la Cour de cassation, opérant un revirement de jurisprudence, rejeta le pourvoi, au motif suivant :

« L’association avait accepté la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de ce handicapé, la Cour a décidé, à bon droit, qu’elle devait répondre de celui-ci, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil ».

Assemblée plénière, 29 mars 1991, 89-15.231

La Cour de cassation consacra ainsi un nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui puisque, désormais, les personnes physiques ou morales ayant la charge permanente d’organiser et de contrôler le mode de vie d’une personne sont responsables des dommages qu’elle cause, et par là-même, l’abandon du caractère limitatif de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil.

Portée de l’arrêt Blieck

Explication de la solution de l’arrêt Blieck

L’arrêt Blieck du 29 mars 1991 est donc venu élargir la responsabilité du fait d’autrui en dehors des cas posés par le législateur (responsabilité des instituteurs, des parents du fait de leur enfant mineur, responsabilité des artisans et responsabilités des commettants du fait de leurs préposés).

Il est toutefois important de comprendre que cet arrêt n’a pas posé un principe général de responsabilité du fait d’autrui, mais s’est contenté de retenir la responsabilité de l’association, dès lors que certaines conditions étaient remplies. Il consacre un nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui.

À partir de cette espèce, la Cour de cassation a entendu engager la responsabilité de « répondants nouveaux », fondée sur le risque consistant à avoir accepté de prendre en charge une personne qui fait courir à autrui des dangers anormaux en raison de sa déficience mentale.

Pourquoi la Cour de cassation a-t-elle accepté d’étendre les cas de responsabilité du fait d’autrui ?

La Cour de cassation avait d’abord refusé catégoriquement de consacrer un principe général de responsabilité du fait d’autrui ou des nouveaux cas de responsabilité du fait d’autrui sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil (article 1242 al. 1er nouveau).

Pour rappel, cet article prévoit :

« On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

C.civ., art. 1384 al. 1er ancien, C.civ., art. 1242 al. 1er nouveau

La formule « mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre » était utilisée par certains plaideurs pour tenter d’élargir les cas de responsabilité du fait d’autrui expressément prévus par le Code civil.

Mais cet article était initialement conçu comme un texte de transition entre les articles 1240 et 1241 (ancien article 1382 et 1383) sur la responsabilité pour faute et les articles consacrant les cas spéciaux de responsabilité énumérés aux dispositions suivantes.

Il ne constituait pas, à lui seul, un texte consacrant un principe général de responsabilité du fait d’autrui. Les cas de responsabilité du fait d’autrui étaient donc limités à ceux consacrés expressément par le Code civil (responsabilité des parents, du commettant etc…).

Alors pourquoi la Cour de cassation a t-elle procédé à un tel revirement de jurisprudence ? Plusieurs raisons permettent d’expliquer la jurisprudence Blieck :

Première raison : Apparition d’un risque social nouveau

L’apparition d’un risque social nouveau lié au développement des activités d’ordre éducatif, en dehors de la famille, destinées aux handicapés nécessitait de trouver un responsable permettant d’assurer l’indemnisation des victimes.  

Deuxième raison : Cohérence des jurisprudences administratives et judiciaires

Cette décision avait été précédée par la reconnaissance par le Conseil d’État d’un régime spécifique de responsabilité de plein droit de la personne publique appliquée aux conséquences des méthodes libérales de traitement des délinquants (CE 3 février 1956, Thouzellier, D. 1956, 596).

Troisième raison : La parallèle avec la consécration d’un principe général de responsabilité du fait des choses

Enfin, dans les arrêts Teffaine (Civ. 16 juin 1896, Teffaine) et Jand’heur, la Cour de cassation avait, de la formule « mais encore de celui qui est causé par le fait (…) des choses que l’on a sous sa garde » de l’article 1384 al. 1er, consacré un principe général de responsabilité du fait des choses (Ch. réunies, 13 février 1930, Jand’heur).

Les suites de l’arrêt Blieck

Au moment de la publication de l’arrêt Blieck, la seule véritable certitude était qu’il existait désormais d’autres cas de responsabilité du fait d’autrui que ceux expressément prévus par la loi. Mais il subsistait de nombreuses interrogations sur les conditions de mise en œuvre de ce nouveau cas de responsabilité.

Quels sont les nouveaux cas et les critères de la responsabilité du fait d’autrui ?

Comme pour toute création jurisprudentielle, la précision de la règle ne peut être dégagée qu’à travers les espèces successives. La Cour de cassation a donc affiné le régime et la portée du principe affirmé dans des arrêts postérieurs.

L’arrêt Blieck posait plusieurs conditions d’engagement de cette responsabilité :

  • le responsable doit tout d’abord avoir accepté une obligation ;
  • le pouvoir sur autrui doit résulter d’une obligation acceptée par l’établissement qui l’exerce;
  • enfin, le pouvoir qui est exercé sur autrui doit être celui “d’organiser et de contrôler le mode de vie de celui-ci”.

Cette dernière condition marque une analogie entre la responsabilité du fait des choses et la responsabilité du fait d’autrui puisque la formule « la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie » n’est pas sans rappeler la formule « le pouvoir d’usage, de direction et de contrôle » évoquée dans l’arrêt Franck (Ch. Réunies., 2 déc.1941, Franck).

La Cour de cassation a, par la suite, précisé que « les personnes tenues de répondre du fait d’autrui en vertu de l’article 1384 al 1 (ancien) ne peuvent s’exonérer en démontrant qu’elles n’ont commis aucune faute » (Crim. 26 mars 1997, arrêt dit « Notre Dame des Flots »). Elle précise ainsi qu’il s’agit d’une responsabilité de plein droit.  

Enfin, la jurisprudence a étendu la responsabilité du fait d’autrui de l’article 1384, alinéa 1, du code civil par deux arrêts du 22 mai 1995 dans un domaine complètement différent, celui des associations sportives (responsabilité des clubs de rugby).

Ces deux arrêts, comme l’arrêt Blieck, n’ont pas posé de principe général de responsabilité du fait d’autrui, mais ont jugé que :

« les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions auxquelles ils participent sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1, du code civil, des dommages qu’ils causent à cette occasion »

(2ème civ., 22 mai 1995, 92-21.871)

La Cour de cassation consacrait ainsi un deuxième cas de responsabilité du fait d’autrui.

Ces différents cas de responsabilité du fait d’autrui répondent à des conditions et à un régime spécifique qui feront l’objet d’un prochain article.

Pour aller plus loin : explications sur la responsabilité du fait d’autrui

Le mécanisme classique de la responsabilité civile du fait d’autrui est le suivant : une victime, d’un délit ou d’un quasi-délit, qui décide d’agir en justice afin d’obtenir la réparation de son préjudice peut agir contre l’auteur du dommage que l’on peut désigner comme étant le « responsable primaire » (Cciv., art. 1240 et 1241 nouv.).

Il s’agit d’une relation à deux personnes : la victime et le responsable.

Le mécanisme de la responsabilité civile du fait d’autrui fait intervenir trois personnes. La victime dispose d’une action contre l’auteur du dommage (le « responsable primaire ») mais aussi contre une autre personne, appelée le « civilement responsable ».

Notre système juridique connait de nombreux cas de responsabilité du fait d’autrui :

  • Responsabilité des parents du fait de leurs enfants (Cciv., art. 1242 nouv.).
  • Responsabilité des commettants du fait de leurs préposés (Cciv., art. 1242 nouv.).
  • Responsabilité des associations ayant pour mission d’organiser et de contrôler l’activité de leurs membres du fait des dommages causés à un tiers au cours de cette activité (2ème civ., 22 mai 1995, 92-21.871).
  • Responsabilité des personnes ayant la charge permanente d’organiser et de contrôler le mode de vie d’une personne (Assemblée plénière, 29 mars 1991, arrêt Blieck).
  • Responsabilité des instituteurs et des artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis (Cciv., art. 1242 nouv.).

V. L'arrêt Blieck en vidéo

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