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Exemple de commentaire d’arrêt (Droit civil)

Par R. BRIGUET-LAMARRE. Enseignant, diplômé de l'école de formation du barreau de Paris (CAPA), Master 2 DPRT (Paris II)

• Publication : 16 décembre 2021

• Mise à jour : 10 mars 2023

Vous trouverez dans cet article un exemple de commentaire d’arrêt en Droit civil pour les étudiants en première année de droit (Droit civil - Introduction au droit / Droit des personnes) intégralement rédigé.

Vous avez le lien vers l’arrêt sur Légifrance, puis la correction détaillée.

Le commentaire d’arrêt est actualisé et à jour des dernières évolutions législatives.

L’arrêt porte sur la question du « sexe neutre » étudiée dans le programme d’introduction au droit ou de droit des personnes.

L’objectif est que vous puissiez avoir un exemple de commentaire d’arrêt (et de fiche d’arrêt) intégralement rédigé en vue de vos examens d’Introduction au droit.

Prenez le temps de lire l’arrêt et essayez de le faire dans les conditions de l’examen.

I. Sujet du commentaire d'arrêt

L'arrêt à commenter, relatif au thème du sexe neutre, est consultable sur Légifrance en cliquant ici : Cass, Civ., 1ère 4 mai 2017, 16-17.189.

II. Correction du commentaire d'arrêt

Introduction du commentaire d'arrêt

(Accroche). Contrairement aux personnes transgenres dont le sexe anatomique, chromosomique et hormonal peut être déterminé de manière certaine, la personne intersexuelle naît avec des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions typiques de « mâle » et « femelle ». Le droit français étant fondé sur le principe de binarité des sexes figurant à l’article 57 du Code civil, ces personnes, n’étant biologiquement ni homme ni femme, ont demandé la reconnaissance par le droit du genre « sexe neutre ». (Lien L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation que nous avons à commenter refuse cette reconnaissance en droit français.  

(Faits). Un homme inscrit à l’état civil comme étant de sexe masculin a saisi le président du tribunal de grande instance par requête d'une demande de rectification de son acte de naissance, afin que soit substituée, à l'indication « sexe masculin », celle de « sexe neutre » ou, à défaut, « intersexe ».

(Procédure / prétentions). Aucune indication n’est donnée sur la juridiction de première instance. La Cour d’appel a rejeté la demande de rectification d’état civil. Le demandeur a alors formé un pourvoi contre l’arrêt devant la Cour de cassation reprochant notamment à la Cour d’appel :

  • D’avoir privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 99 du code civil en n’ayant pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si la mention « de sexe masculin » figurant sur l'acte de naissance n'était pas en contradiction avec son sexe psychologique.
  • D’avoir statué par des motifs inopérants en violation des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 99 du code civil en ayant subordonné la modification de la mention du sexe portée sur l'état civil à la condition que le sexe mentionné ne soit pas en correspondance avec l'apparence physique et le comportement social de l'intéressé.
  • De n’avoir pas tiré les conséquences de ses propres constatations en violation des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 99 du code civil en ayant retenu, pour rejeter la demande de rectification d'état civil que l’intéressé présentait une apparence physique masculine.
  • D’avoir violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 99 du code civil en affirmant en affirmant pour rejeter la demande de rectification d'état civil que celui-ci s'était marié et avait, avec son épouse, adopté un enfant, motif impropre à exclure que le maintien de la mention « de sexe masculin » porte atteinte au droit au respect de la vie privée.
  • D’avoir violé l'article 57 du code civil et le point 55 de la circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes d'état civil et n’ayant retenu « qu'en l'état des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, il n'est pas envisagé la possibilité de faire figurer, à titre définitif, sur les actes d'état civil une autre mention que sexe masculin ou sexe féminin, même en cas d'ambiguïté sexuelle ».
  • D’avoir violé les articles 5 et 99 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ayant retenu que la demande présentée posait des questions délicates relevant de la seule appréciation du législateur.

(Problème de droit). La mention « sexe neutre » peut-elle être inscrite dans les actes de l’état civil ?

(Solution). La Cour de cassation rejette le pourvoi en posant, dans un clair attendu de principe, que « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin ». Elle ajoute que si l'identité sexuelle relève de la sphère protégée par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l'état civil poursuit un but légitime en ce qu'elle est nécessaire à l'organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur et que la reconnaissance par le juge d'un « sexe neutre » aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination.

Elle conclut en estimant que la cour d'appel, qui a constaté que le requérant avait, aux yeux des tiers, l'apparence et le comportement social d'une personne de sexe masculin, conformément à l'indication portée dans son acte de naissance, a pu en déduire que l'atteinte au droit au respect de sa vie privée n'était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi.

(Annonce de plan). La Cour de cassation refuse d’autoriser l’inscription de la mention « sexe neutre » dans les actes d’état civil (I). Plusieurs éléments figurant dans cette décision expliquent cette impossibilité de la reconnaissance jurisprudentielle du sexe neutre (II).

Contenu du commentaire d'arrêt

I. Le refus jurisprudentiel de la reconnaissance du sexe neutre

(Annonce de plan interne). La Cour de cassation refuse de reconnaître l’existence juridique d’un sexe neutre en rappelant le principe de la binarité des sexes en droit français (A). Elle conclut également à l’absence d’atteinte au droit au respect de la vie privée du demandeur au pourvoi (B).

A. Le rappel de l’exigence de la binarité des sexes

Dans cet arrêt, un homme souhaitait voir inscrire sur les registres d’État civil la mention « sexe neutre » ne s’estimant ni femme ni homme. À cette fin, le demandeur au pourvoi se fondait sur deux principaux textes pour que sa demande aboutisse, à savoir l’article 57 du code civil et l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En effet, l’article 57 du code civil, prévoit uniquement que l’acte de naissance énonce « le sexe de l’enfant » sans évoquer ni le sexe masculin et ni le sexe féminin. C’est ce qu’invoquait le demandeur au pourvoi qui indiquait que : « l'article 57 du code civil impose seulement que l'acte de naissance énonce « le sexe de l'enfant » ». Il ajoutait que « cette disposition ne prévoit aucune liste limitative des sexes pouvant être mentionnés pour son application ». Selon lui, il n’était pas possible d’interpréter l’article 57 du code civil comme empêchant l’inscription dans les actes d’état civil de la mention d’un sexe neutre. En d’autres termes, la Cour d’appel avait commis, selon le demandeur au pourvoi, une violation de la loi en déduisant de l’article 57 un principe de binarité des sexes en droit français.

Finalement, la haute juridiction retient dans un net attendu de principe que la loi française ne permet pas de faire figurer dans les actes de l’état civil l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin. Elle évoque en outre « la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l'état civil », mais ne s’appuie toutefois sur aucun fondement textuel et ne vise pas directement l’article 57 du Code civil pour conforter ce principe de binarité des sexes en droit français.

(Transition). Le demandeur au pourvoi se fondait également sur l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales consacrant le droit au respect de la vie privée pour obtenir l’inscription de la mention « sexe neutre » dans ses actes d’état civil. La Cour de cassation va conclure à l’absence d’atteinte au droit au respect de la vie privée.

B. L’absence d’atteinte au droit au respect de la vie privée

La Cour de cassation reconnait d’abord que l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est applicable à la situation de l’intéressé : « Et attendu que, si l'identité sexuelle relève de la sphère protégée par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Cette solution n’est pas nouvelle et constitue une reprise de précédents arrêts relatifs au transsexualisme rendus par la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt « Goodwin c/ Royaume-Uni »[1] du 11 juillet 2002 et arrêt « A.P., Nicot et Garçon c/ France » du 6 avril 2017 dans lesquels elle affirmait qu’en tant qu' « élément de l'identité personnelle, l'identité sexuelle relève pleinement du droit au respect de la vie privée que consacre l'article 8 de la Convention. Cela vaut pour tous les individus »). La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de faire évoluer sa jurisprudence sur les personnes transsexuelles (Ass. plén., 11 décembre 1992 n° 91-11.900 et n° 91-12.373).

Elle juge ensuite que « la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l'état civil » constitue effectivement une atteinte au droit au respect de la vie privée pour la personne intersexuée, mais considère qu’il existe un but légitime permettant de justifier cette atteinte. Elle procède ainsi dans cet arrêt à un « contrôle de proportionnalité » de l’atteinte à la vie privée et juge que cette atteinte à la vie privée est justifiée par deux éléments :

  • 1. La binarité des sexes dans les actes de l’état civil poursuit un but légitime en ce qu’elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique ;
  • 2. La reconnaissance par le juge d’un « sexe neutre » aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination (elle fait référence ici au principe de séparation des pouvoirs).

Elle en conclut que « l'atteinte au droit au respect de sa vie privée n'était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ».

(Transition). L’interprétation par la Cour de cassation de l’article 57 du Code civil et l’application d’un contrôle de proportionnalité de l’atteinte à la vie privée sur le fondement de l’article 8 de la CEDH aboutissent à un refus catégorique de reconnaître juridiquement le sexe neutre en droit français. En réalité, plusieurs éléments de la décision manifestent très nettement une impossibilité manifeste, pour la Cour de cassation, de reconnaître l’existence d’un sexe neutre dans les actes de l’état civil.

II. L’impossibilité manifeste de la reconnaissance jurisprudentielle du sexe neutre

(Annonce de plan interne). Cette impossibilité de reconnaître l’existence d’un sexe neutre dans les actes de l’état civil semble justifiée au regard de la motivation de la Cour de cassation (A). Il en découle qu’une évolution sur la prise en compte du sexe neutre ne pourra intervenir que par la voie législative (B).

A. Le refus justifié de la reconnaissance du sexe neutre

La Cour de cassation rejette ici l’argumentation du demandeur au pourvoi tant s’agissant de l’argumentation relative à l’article 8 de Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que de celle relative à l’article 57 du Code civil. 

S’agissant de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du droit au respect de la vie privée, le raisonnement de la Cour de cassation semble conforme aux décisions antérieures qui avaient déjà reconnu que l’identité sexuelle faisait partie du droit au respect de la vie privée.

De même, les deux justifications avancées par la Cour de cassation à l’atteinte au droit au respect de la vie privée paraissent fondées. En effet, la Cour de cassation fait d’abord implicitement référence au principe de séparation des pouvoirs lorsqu’elle énonce que « la reconnaissance par le juge d’un « sexe neutre » aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ». Une telle consécration relèverait davantage du pouvoir législatif plus que du pouvoir judiciaire. Si la Cour de cassation avait accepté de consacrer elle-même une telle possibilité, la critique du « gouvernement des juges » aurait été justifiée.

Toutefois, l’interprétation par la Cour de cassation de l’article 57 du Code civil apparait plus contestable. La haute Cour juge que ce texte « ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin ». Cette affirmation est discutable, car comme l’indique le demandeur au pourvoi « cette disposition ne prévoit aucune liste limitative des sexes pouvant être mentionnés pour son application ». On peut donc se demander si l’interprétation de ce texte par la Cour de cassation n’est pas erronée. D’ailleurs, une circulaire de 2011 prévoit même « qu’il pourrait être admis, avec l’accord du procureur de la République, qu’aucune mention sur le sexe de l’enfant ne soit initialement inscrite sur l’acte de naissance ». En d’autres termes, l’article 57 du Code civil ne semble imposer aucune binarité des sexes. En réalité, la binarité des sexes ne semble imposée que par une circulaire du 10 janvier 2000 selon laquelle le sexe doit être indiqué sur l’acte de naissance par la lettre M (masculin) ou la lettre F (féminin).

Cette critique doit être relativisée, car le principe de binarité des sexes peut paraître justifié en droit, certains textes législatifs faisant référence à la dualité des sexes notamment en matière de discriminations sexuelles et certains arrêts faisant expressément référence à cette dualité des sexes (ex. : CA Paris, 18 janv. 1974 : D. 1974, p. 196[2]).

(Transition). Il semble, au regard de cet arrêt, qu’une évolution sur la prise en compte du sexe neutre ne pourra intervenir que par la voie législative.

B. La nécessité d’une consécration législative de la reconnaissance d’un sexe neutre

Il ressort de cette décision que toute demande d’inscription à l’état civil d’un sexe neutre sera rejetée en l’absence de réforme législative, la Cour de cassation n’étant pas compétente pour reconnaître en droit français l’existence d’un sexe neutre. Il s’agit sans aucun doute d’un arrêt de principe, car publié au bulletin et abondamment commenté par la doctrine en raison de la question de société qu’il tranche. Par ailleurs, la portée de l’arrêt est particulièrement importante en raison l’attendu de principe particulièrement net figurant dans la décision (« Mais attendu que la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin »), a fortiori dans un arrêt de rejet.

Ce refus de la Cour de cassation implique qu’une telle reconnaissance ne pourra intervenir que par le biais d’une réforme législative. Tant l’article 5 du Code civil (interdiction des arrêts de règlements) que l’article 24 de la Constitution française prévoyant la compétence du législateur (« Le Parlement vote la loi ») interdisent au juge de se comporter en législateur. Au regard de ces deux textes, on voit mal un revirement de jurisprudence intervenir à la suite de cette décision.

C’est ce à quoi la Cour de cassation fait référence lorsqu’elle indique que la reconnaissance d'un « sexe neutre » aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination. En d’autres termes, chaque fois qu’un texte juridique évoque les hommes et les femmes, il faudrait le modifier pour y ajouter le sexe neutre. Sur le plan sociétal, une telle évolution aurait également des répercussions sur la langue française fondée sur le féminin et le masculin.

Il faut toutefois noter que la Cour de cassation procède ici à un « contrôle léger » (marqué par l’expression « a pu en déduire ») de sorte qu’il serait envisageable, pour certains auteurs, que le droit au respect de la vie privée puisse justifier la reconnaissance du « sexe neutre » par la Cour de cassation à l’avenir.

En réalité, il nous paraît plus vraisemblable de penser qu’une telle évolution ne peut venir que de la loi. Plusieurs raisons laissent supposer une évolution du droit français. D’abord, la France pourrait décider de s’aligner sur le droit de certains pays étrangers comme l’Allemagne qui a intégré dans son ordre juridique l’intersexualisme avec la « loi relative au changement des données à inscrire dans le registre des naissances » du 13 décembre 2018. Elle autorise l’inscription d’un « troisième genre » sur les certificats de naissance (la mention « divers » figure désormais sur les certificats de naissance allemands à côté des champs « féminin » et « masculin »).

Par ailleurs, le droit français évolue également sur cette question et semble prendre en compte cette problématique du sexe neutre. Ainsi, récemment, la loi du 2 août 2021 s’est intéressée au sort d’enfants présentant une variation du développement génital à la naissance de deux manières :

  • Un texte précise désormais la procédure de prise en charge de ces enfants à la naissance (CSP., art. L. 2131-6).
  • L’article 57 du Code civil permet désormais de dissocier la déclaration de naissance et la déclaration du sexe à l’état civil ce qui permet de laisser un peu de temps aux parents pour savoir quel sexe déclarer, la mention du sexe ne pouvant être reportée plus de trois mois après la déclaration de naissance.

[1] CEDH, 11 juillet 2002, Req. 28957/95.

[2] Pour en savoir plus, V. La neutralité des sexes refusée à l’état civil, Lextenso étudiant.

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