Vous trouverez dans cet article un exemple de dissertation juridique intégralement rédigée en droit du travail.
Il s’agit d’un sujet dont j'ai dû faire la correction en séance de travaux dirigés de droit du travail avec une étudiante en troisième année de droit.
Le sujet de la dissertation invite à s’interroger sur le thème de l'abandon de poste. C'est, à mon sens, un sujet de dissertation dont la correction peut vraiment vous aider à progresser.
Pour rappel, la méthode de la dissertation juridique est disponible en cliquant ici.
Prenez le temps de lire l’énoncé et essayez de le faire dans les conditions de l’examen.
1. Sujet / énoncé de la dissertation en droit du travail
Rédigez une dissertation sur le sujet suivant :
"L’abandon de poste"
2. Corrigé de la dissertation juridique
(Accroche) Selon une étude publiée le 22 février 2023 sur le site de la Dares, environ 70 % des licenciements pour faute grave ou lourde dans le secteur privé étaient motivés par un abandon de poste, au premier semestre 2022 (sur un montant total de 173 000 contrats de travail du secteur privé rompus par un licenciement pour faute grave ou lourde) [1]. Ces chiffres permettent de mettre en exergue le caractère d’actualité de l’abandon de poste, sujet sur lequel nous avons à disserter.
(Définitions des termes du sujet) L’abandon de poste ne fait l’objet ni d’une définition légale ni jurisprudentielle. Toutefois, il est possible, à partir des différentes décisions rendues par la Cour de cassation de proposer la définition suivante : l’abandon de poste est une situation dans laquelle un salarié n’exécute plus sa prestation de travail sans motif légitime ou sans autorisation donnée par l’employeur. L’abandon de poste se distingue de la simple absence injustifiée, temporaire, car il s’agit d’une « non-présence continue [2] ».
(Impératifs contradictoires / intérêts) Le thème de l’abandon de poste présente une importance pratique certaine en raison des enjeux qu’il dissimule. En se mettant volontairement en situation d’abandon de poste, certains salariés, souhaitant démissionner, cherchent à faire l’objet d’un licenciement afin d’obtenir le droit aux allocations d’aide au retour à l’emploi (ARE), ce que ne permet pas la démission, sauf exception. Afin de lutter contre ces « démissions déguisées », le législateur est récemment intervenu avec la loi n° 2022-1598 du 21 déc. 2022 portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, complétée par le décret n° 2023-275 du 17 avril 2023 pour créer une présomption de démission du salarié en cas d’abandon volontaire de son poste de travail. Toutefois, avant comme après la réforme, les conséquences juridiques d’un abandon de poste, tant pour le salarié que l’employeur, ne sont pas toujours évidentes à appréhender.
(Problématique) Quelles sont les conséquences juridiques de l’abandon de poste ?
(Annonce de plan) Pour déterminer les conséquences juridiques de l’abandon de poste, il convient au préalable de cerner les contours de cette notion imprécise (I). Les apports de la réforme opérée par la loi du 21 décembre 2022 ayant créé une présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire, apparaissent limités (II).
I – L’imprécision de la notion juridique d’abandon de poste
La notion d’abandon de poste, faute de définition légale, s’avère délicate à cerner (A). Ses effets juridiques sont également difficiles à appréhender (B).
A – La délicate définition de la notion d’abandon de poste
L’abandon de poste ne fait l’objet d’aucune définition, ni légale ni jurisprudentielle. Il est ainsi simplement possible de donner une définition doctrinale à partir des arrêts rendus par la Cour de cassation. Comme expliqué en introduction, il s’agit d’une situation dans laquelle un salarié n’exécute plus sa prestation de travail, de manière continue, sans motif légitime ou sans autorisation donnée par l’employeur.
Le contrat de travail est un contrat synallagmatique ce qui implique que le salarié, en échange d’une rémunération, a l’obligation de fournir une prestation de travail pour le compte de son employeur. Ainsi, une situation d’abandon de poste constitue un comportement fautif sanctionnable disciplinairement. Toutefois, toute absence d’exécution de la prestation de travail par le salarié ne peut pas faire l’objet d’une sanction. Il existe en effet des hypothèses dans lesquelles le salarié peut légitimement refuser d’accomplir sa prestation de travail. Ces motifs légitimes sont nombreux et sont consacrés par la jurisprudence. Par exemple, dès lors que la prestation demandée au salarié ne correspond pas à la qualification prévue au contrat, il est en droit de refuser de l'exécuter (Cass. soc., 4 avr. 2001, n° 98-45.934). De même, le salarié peut légitimement refuser d’exécuter sa prestation de travail lorsque l’employeur s’abstient de verser les salaires dus (Cass. soc., 25 nov. 2015, 14-19.586). L’exercice par un salarié de son droit de retrait permet également à un salarié de refuser d’accomplir sa prestation de travail. Ainsi lorsqu’un salarié exerçant son droit de retrait se trouve licencié pour faute grave en raison d’un « abandon de poste », le licenciement est nul (Cass. soc., 28 janvier 2009, 07-44.556).
Le problème de cette absence de définition légale et jurisprudentielle claire (la réforme opérée par la loi du 21 décembre 2022 n’a pas davantage défini cette notion) se pose dans la situation, fréquente en pratique, d’un salarié qui choisit volontairement de se mettre en situation d’abandon de poste afin de provoquer un licenciement de la part de son employeur plutôt que de démissionner. Une telle manœuvre comprend en pratique deux avantages pour le salarié. Le premier est qu’un licenciement pour faute grave dispense le salarié de l’exécution de son préavis contrairement à la démission. Le second réside dans la possibilité d’obtenir le droit à l’allocation chômage d’aide au retour à l’emploi en cas de licenciement, ce que ne permet pas la démission (sauf cas spécifiques de « démissions légitimes »). Cette situation se révèle problématique pour l’employeur qui doit faire preuve de prudence s’il souhaite réagir pour ne pas conserver dans ses effectifs un salarié qui ne se présente plus pour travailler et n’accomplit plus sa prestation de travail.
(Transition) L’employeur peut ainsi réagir de différentes manières à un abandon de poste, mais doit faire preuve de prudence en raison de l’ambiguïté des effets juridiques qu’un abandon de poste est susceptible de produire.
B – L’ambiguïté problématique des effets juridiques de l’abandon de poste
Une situation d’abandon de poste requiert de l’employeur une réaction pratique qui produira des conséquences juridiques. L’employeur doit faire preuve de prudence s’il souhaite éviter de commettre des erreurs entrainant un coût financier pour l’entreprise.
En pratique, la première action conseillée consiste pour l’employeur à demander au salarié de justifier son absence, ce qui permet dans un premier temps d’obtenir des informations sur l’absence en question. Si aucune réponse n’est donnée par le salarié, l’employeur peut alors mettre en demeure le salarié par écrit de reprendre son travail.
Une fois ces formalités effectuées, l’employeur a deux possibilités consistant soit à être passif soit actif.
L’employeur peut décider d’être passif et de conserver le salarié dans ses effectifs, tout en arrêtant le versement du salaire. Le contrat de travail étant un contrat synallagmatique, l’absence de prestation de travail justifie l’absence de versement de la rémunération. Cette situation est en pratique délicate, car le maintien du salarié dans les effectifs de l’entreprise a un coût financier et une telle passivité pourrait, en cas de contentieux ultérieur, être reprochée à l’employeur.
L’employeur peut décider d’adopter une démarche active et réagir. Avant la réforme opérée par la loi du 21 décembre 2022, il avait deux possibilités. La première, déconseillée, était de prendre acte de la démission du salarié. Toutefois, selon la Cour de cassation la simple absence du salarié, même non justifiée, ne permettait pas de caractériser une volonté claire de démissionner (Cass. 1ère civ., 17 juin 2015, 14-18.372). Le risque pour l’employeur qui prenait acte de la démission du salarié était que la rupture du contrat soit analysée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La deuxième possibilité, qui était la voie présentant le moins de risque juridique pour l’employeur, consistait à sanctionner le salarié en engageant une procédure de licenciement disciplinaire pour faute grave. Toutefois, même dans ce dernier cas, l’employeur s’exposait à une contestation par le salarié de son licenciement qui pouvait, dans le cadre d’un contentieux, invoquer un motif légitime de refus d’exécution de sa prestation de travail.
La réforme opérée par la loi du 21 décembre 2022 a souhaité lutter contre ces « démissions déguisées » pour dissuader les salariés de s’orienter vers une telle manœuvre. L’idée a consisté à créer une présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire, ce qui prive les salariés du droit aux allocations chômage. Une telle manœuvre ne présentant alors plus d’intérêts pour un salarié, celui-ci ne se mettrait alors plus volontairement en situation d’abandon de poste.
(Transition) L’apport de cette réforme apparait toutefois limité en pratique.
II – L’apport limité de la réforme relative à l’abandon de poste
(Annonce de plan interne) Cette réforme de l’abandon de poste apparait limitée en pratique. Malgré l’encadrement strict de la présomption de démission prévu par le Code du travail (A) les effets juridiques que l’utilisation de ce dispositif est susceptible de produire sont incertains, ce qui risque de dissuader les employeurs d’y recourir (B).
A – L’encadrement strict de la présomption de démission
L’article L.1237-1-1 du Code du travail dispose que « Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l'employeur, est présumé avoir démissionné à l'expiration de ce délai ». La loi crée ainsi une présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire par un salarié.
Pour s’assurer néanmoins du caractère volontaire de l’abandon de poste, la loi « procéduralise le mécanisme présomptif[3] ». Des conditions de forme sont prévues. D’abord, l’employeur doit mettre en demeure le salarié absent sans en avoir donné la raison de justifier cette absence et de reprendre son poste, « par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge ». Un délai fixé par l’employeur ne pouvant être inférieur à quinze jours (C. trav., art. R.1237-13, décret n° 2023-275 du 17 avril 2023) est imparti au salarié pour répondre. Si à l’expiration du délai, le salarié n’a pas repris son activité et n’a pas justifié son absence (conditions cumulatives) le salarié est réputé démissionnaire.
De manière générale, la condition de fond réside dans le caractère volontaire de l’abandon de poste. Le Conseil constitutionnel, à l’occasion de l’examen de la constitutionnalité de cette disposition légale, a jugé que « Les dispositions contestées ne s’appliquent que dans le cas où le salarié a volontairement abandonné son poste. Il ressort des travaux préparatoires que l’abandon de poste ne peut pas revêtir un caractère volontaire si, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, il est justifié par un motif légitime, tel que des raisons médicales, l’exercice du droit de grève, l’exercice du droit de retrait, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à la réglementation ou encore son refus d’une modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat de travail » (Cons. const., DC, 15 déc. 2022, n° 2022-844, § 28). Ce caractère volontaire requiert donc l’absence de justification légitime relative à l’absence d’exécution de sa prestation de travail par le salarié.
(Transition) Malgré cet encadrement strict, les effets juridiques de cette présomption apparaissent incertains et présentent un risque pour l’employeur.
B – Les effets incertains de la présomption de démission
L’article L.1237-1-1 du Code du travail prévoit une deuxième partie dans ce dispositif instaurant une présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire. En effet, le salarié peut contester la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption en saisissant le conseil de prud'hommes. L’alinéa 2 de l’article prévoit en outre que l'affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées et statue au fond dans un délai d'un mois à compter de sa saisine.
Cette possibilité pour le salarié de contester la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption risque de décourager les employeurs d’emprunter cette voie. En effet, un salarié pourrait tout à fait, malgré l’absence de réponse à la mise en demeure, avancer des motifs légitimes d’absence devant un conseil de prud’hommes, comme l’exercice d’un droit de retrait ou le refus de subir des agissements de harcèlement. Dans une telle hypothèse, à défaut de volonté claire et non équivoque de démissionner, la rupture du contrat de travail pourrait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d’un licenciement nul. L’employeur préfèrera sans doute licencier pour faute grave le salarié en situation d’abandon de poste plutôt que d’emprunter la voie de la présomption de démission.
Cette absence de certitude sur les effets de la présomption de démission ainsi mis en place en cas d’abandon de poste volontaire peut faire douter de l’utilisation de ce dispositif par les employeurs. Cette réforme pourrait toutefois avoir pour effet de dissuader les salariés souhaitant démissionner de se mettre en situation d’abandon de poste.
Les possibilités pour un salarié inventif d’obtenir une rupture de son contrat ouvrant droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi ne manquent toutefois pas et d’autres manœuvres (par exemple, des retards importants et systématiques) seront vraisemblablement utilisées !
[1] https://www-lexbase-fr.docelec-u-paris2.idm.oclc.org/article-juridique/93467651-l-abandon-de-poste-principal-motif-de-licenciement-pour-faute-grave-ou-lourde-selon-la-dares
[2] https://www-lexbase-fr.docelec-u-paris2.idm.oclc.org/article-juridique/89064221-amendement-sur-l-abandon-de-poste-questions-a-loic-lewandowski-avocat-associe-hogo-avocats.
[3] G. Loiseau, La présomption de résiliation unilatérale du contrat de travail à durée indéterminée, RDC mars 2023, n° RDC201f4.
Bonjour, j'ai lu ce cours et j'ai trouvé ça intéressant.
Merci !
Je suis très intéressé par les cours du Droit de Travail