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Méthode : Fiche d’arrêt du Conseil d’État (Droit administratif)

Par R. BRIGUET-LAMARRE. Enseignant, diplômé de l'école de formation du barreau de Paris (CAPA), Master 2 DPRT (Paris II)

• Publication : 5 août 2022

• Mise à jour : 10 mars 2023

La Fiche d’arrêt est un exercice juridique particulièrement important que les étudiants en droit devront réaliser au minimum une centaine de fois au cours de leurs études de droit.

Si la méthode de la fiche d’arrêt rendu par la Cour de cassation est fréquemment enseignée, la méthodologie de la fiche d’arrêt rendu par le Conseil d’État (Droit administratif) l'est moins. Bien que la méthode soit presque la même, il existe de nombreuses spécificités à connaître pour rédiger une fiche d'arrêt rendu par le Conseil d'État. 

Dans cet article, nous allons voir comment réaliser la fiche d’un arrêt rendu par le Conseil d’État. Pour illustrer les explications, nous prendrons pour exemple l’arrêt Nicolo rendu par le Conseil d’État le 20 octobre 1989.

I. Présentation de la fiche d’arrêt en droit administratif 

1 – Qu’est-ce qu’un arrêt ? 

On parle d’arrêt pour les décisions rendues par une juridiction ayant le nom de « Cour » (un arrêt de Cour d’appel ou un arrêt de la Cour de cassation).

À l’inverse on parle de jugement pour une décision rendue par une juridiction de première instance ou pour les décisions rendues par le Conseil d’État.

Techniquement on ne réalise donc jamais une fiche « d’arrêt » rendu par le Conseil d’État, mais une fiche de « décision ». En réalité, qu’il s’agisse d’une fiche d’arrêt ou d’une fiche de « décision » la méthode est la même. Dans la suite de cet article, nous utiliserons les deux termes pour plus de simplicité. 

2 – Qu’est-ce qu’une fiche d’arrêt en droit administratif ? 

La fiche d’arrêt est un exercice qui consiste à présenter une décision de justice (et non à expliquer contrairement au commentaire d’arrêt) selon une méthode particulière comportant plusieurs étapes.

Les étapes de la fiche d’arrêt sont les suivantes : 

• 1. Faits de l’arrêt

• 2. Procédure et prétentions des parties

• 3. Problème de droit soulevé par l’arrêt

• 4. Solution de l’arrêt

Existe-t-il des spécificités s’agissant de la fiche d’arrêt rendu par le Conseil d’État par rapport à la fiche d’arrêt classique ? 

La méthode pour réaliser la fiche d’un arrêt rendu par une juridiction de l’ordre administratif est exactement la même que pour un arrêt rendu par une juridiction de l’ordre judiciaire.

Toutefois, il existe des connaissances spécifiques à maîtriser pour savoir lire correctement un arrêt rendu par le Conseil d’État. À défaut de posséder ces connaissances, vous risquez de rencontrer des problèmes pour réaliser efficacement la fiche d’arrêt rendu par la juridiction administrative.

Ces connaissances portent sur :

  • Les juridictions de l’ordre administratif ;
  • La structure des arrêts rendus par le Conseil d’État. 

C’est ce que nous allons voir tout de suite ! 

II. Les connaissances permettant de réaliser une fiche d’arrêt en droit administratif

1 – Qu’est qu’une juridiction de l’ordre administratif ?

Nous connaissons, en droit français, une dualité juridictionnelle.

Les litiges de droit privé relèvent de l'ordre juridictionnel judiciaire et les litiges de droit public relèvent de l’ordre juridictionnel administratif.

Le droit public est le droit des relations au sein de l'État (Administration) et entre l'État et les particuliers. Il s’agit non d’une relation horizontale, mais d’une relation verticale entre les gouvernants et les gouvernés.

Chaque ordre juridictionnel comprend ses propres juridictions :

Pour l’ordre juridictionnel judiciaire, les juridictions compétentes sont les tribunaux de première instance (juridiction de droit commun comme le Tribunal judiciaire et juridictions spécialisées comme les conseils de prud’hommes), la Cour d’appel et la Cour de cassation.

Pour l’ordre juridictionnel administratif, les juridictions compétentes sont les tribunaux administratifs de première instance, les cours administratives d'appel et le Conseil d'État.

2 – Qu’est-ce que le Conseil d’État ?

Le Conseil d’État, siégeant au Palais-Royal à Paris depuis 1875, est la juridiction suprême de l’ordre administratif : il s’agit de la plus haute juridiction administrative en France.  

Le Conseil d’État est :

juge de cassation des arrêts rendus par les cours administratives d’appel ;

la juridiction compétente pour connaître en premier et dernier ressort de certains litiges spécifiques comme les recours pour excès de pouvoir dirigés contre les décrets.

Les décisions rendues par le Conseil d’État statuant au contentieux ne sont susceptibles d’aucun recours, hormis le recours en révision ou en rectification d’erreur matérielle.

3 – Comment est composé le Conseil d’État ?

La section du contentieux du Conseil d’État assume la fonction juridictionnelle.

Cette section est divisée en dix sous-sections, chacune étant spécialisée dans une matière spécifique. Par exemple, il existe une sous-section spécialisée dans le droit des étrangers.

Lorsqu’une requête est présentée au Conseil d’État, elle est transmise à la sous-section spécialisée afin qu’il soit procédé à l’instruction de l’affaire.

Une fois l’instruction terminée, quatre formations sont compétentes pour rendre la décision :

1. Pour les affaires simples, la sous-section qui a instruit l’affaire rend elle-même la décision.

2. Pour les affaires présentant un certain niveau de difficulté, les sous-sections réunies ayant instruits le dossier rendent la décision.

3. Pour les affaires qui soulèvent des problèmes juridiques particuliers ou qui présentent des implications politiques importantes, la section du contentieux en formation de jugement est compétente. L’idée est de confier ce type d’affaires à une formation suffisamment importante pour renforcer l’autorité morale de la décision.

4. Pour les affaires les plus importantes impliquant généralement un revirement de jurisprudence ou soulevant une question juridique nouvelle, l’assemblée du contentieux, plus importante formation contentieuse, est compétente. Elle est présidée par le vice-président du Conseil d’État et présente une composition regroupant le président de la section du contentieux, les trois présidents adjoints de cette section, le président de la sous-section qui instruit l’affaire, le rapporteur ainsi que le président de chacune des cinq sections administratives.

4 – Comment lire une décision rendue par le Conseil d’État ?

Schématiquement, voici comment se présentent les éléments importants d’une décision rendue par le Conseil d’État :

1. L’en tête de la décision rendue par le Conseil d’État

Trois éléments présentent une importance particulière :

Le numéro de la décision permet de retrouver la décision en question sur les sites en accès libre comme Légifrance ou sur les bases de données juridiques en accès privé comme Doctrine, Lexbase, Lextenso, Navis, Dalloz ou Lexisnexis.

La formation du Conseil d’État, qui une fois l’instruction terminée, a rendu la décision

La publication de la décision au recueil Lebon

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Par exemple, lorsque l’arrêt mentionne « Publié au recueil Lebon », la décision est publiée, ce qui signifie que la décision présente une importance certaine. Le recueil Lebon est un ouvrage diffusé par les éditions Dalloz, qui reprend notamment l'essentiel de la jurisprudence du Conseil d'État.

2. Les visas de la décision (« Vu »)

Au début de la décision, se trouve un premier visa de procédure qui identifie les requérants et permet de déceler le type d’arrêt en question.

Le Conseil d’État peut rendre trois types d’arrêts différents :

Un arrêt de cassation ;

Un arrêt rendu en premier et dernier ressort ;

Un arrêt d’appel.

💡 Le Conseil d'État doit être saisi par une requête écrite et motivée, dirigée contre la décision contestée. C’est pourquoi on utilise le terme de requérant.

Au sein de ce premier visa se trouvent les conclusions du requérant qui décrivent l’objet des demandes présentées au juge administratif et exposent les prétentions des parties.

Conclusions visa arrêt conseil d'état emplacement fiche d'arrêt droit administratif

Ensuite, la décision énonce les visas des textes applicables au litige.

3. Le corps de la décision (les « Considérant que »)

Jusqu’à récemment, tous les arrêts rendus et publiés par le Conseil d’État étaient rédigés sous la forme d’une phrase unique divisée en paragraphes introduits par les termes « Considérant que ».

💡 « Considérant que » et nouvelle méthode rédaction

Depuis le 1er janvier 2019, le Conseil d’État a abandonné la méthode de la phrase unique et les « considérant ». Le juge administratif généralise la rédaction en style direct de ces décisions contentieuses. L’idée est de renforcer la clarté et la lisibilité des décisions.

Les décisions du Conseil d’État rendues à partir de cette date ne sont donc pas rédigées de la même manière.

4. Le dispositif de la décision

Le dispositif exprime le sens de la décision qui découle du raisonnement énoncé dans les motifs.

Le Conseil d’État peut rejeter la requête ou prononcer l’annulation demandée.

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III. Réalisation de la fiche d’arrêt rendu par le Conseil d’État

L’objet de cette partie est de présenter les différentes étapes de la fiche d’arrêt. Vous devez expliquer les faits (1), décrire la procédure et les prétentions (2), trouver le problème de droit (3) puis rendre compte de la solution (4).

La réalisation de la fiche de décision rendue par le Conseil d’État suit la même méthode que la fiche d’arrêt rendu par la Cour de cassation.

1 - Les faits de la décision

Vous devez, comme pour une fiche d’arrêt classique, décrire les faits ayant donné lieu au litige.

Faites attention à bien :

  • Adopter le vocabulaire du juriste en qualifiant juridiquement les faits.
  • Être le plus concis possible afin de ne pas perdre du temps pour la suite de la rédaction.
  • Décrire uniquement les faits juridiques pertinents. Vous devez, avant de rédiger les faits, lire l’intégralité de la décision. Les faits pertinents ne sont pas toujours tous nécessairement situés au début de l’arrêt.
  • Qualifier juridiquement les faits.

💡 Exemple de faits rédigés avec l’arrêt Nicolo

« Un électeur (qualification juridique du requérant) a contesté la régularité des élections des représentants au Parlement européen ayant eu lieu le 18 juin 1989. Il contestait la compatibilité d’une disposition législative au regard d’une disposition d’un traité international, l’article 227-1 du traité de Rome ».

2 - Procédure et prétentions des requérants

Vous devez évoquer, dans l’ordre chronologique, les différentes juridictions saisies, la qualité des parties et leurs prétentions ainsi que les solutions rendues antérieurement par ces juridictions. 

• 1. Les différentes juridictions saisies 

Les juridictions administratives connaissent de l’application du droit public. On y trouve :

- Les juges du fond de premier degré : les tribunaux administratifs.

- Les juges du fond du deuxième degré : les cours d’appel administratives.

- Le juge du droit : le Conseil d’État.

La voie de recours que constitue l’appel n’est pas systématiquement ouverte contre les décisions de première instance. On dit alors que la décision est rendue en « premier et dernier ressort ». 

💡 Par exemple dans l’arrêt Nicolo, le Conseil d’État a rendu sa décision en premier et dernier ressort. En effet, dans certains cas énoncés par le Code de justice administrative, le Conseil d’État statue en premier et dernier ressort, ce qui signifie qu’aucune cour d’appel ne se pourra être saisie (V. Code de justice administrative, art. 311-1).

• 2. Les qualités des parties 

Vous devez expliquer qui saisit la juridiction et qui fait appel. 

 3. Les prétentions des parties 

Il faut décrire les prétentions des parties, c’est-à-dire ce qu’elles demandaient au juge.

💡 Exemple de description de la procédure et des prétentions avec l’arrêt Nicolo

« [Requête visant l’annulation] Le requérant a saisi le Conseil d’État d’une requête tendant à l’annulation des opérations électorales ayant eu lieu le 18 juin 1989 en vue de l'élection des représentants au Parlement européen.

[Arguments] Il soutenait dans sa requête que la participation des citoyens français des départements et territoires d'outre-mer (D.O.M.-T.O.M.) à l'élection des représentants au Parlement européen, ainsi que la présence de certains d'entre eux sur des listes de candidats rendaient les élections irrégulières.

Il se fondait sur l’article 227-1 du traité de Rome pour contester la loi du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants de la France à l'Assemblée des communautés européennes.

Selon lui, l’article 227-1 du traité de Rome en prévoyant que « Le présent traité s'applique (...) à la République française » ne permettait pas aux citoyens des D.OM.-T.O.M. de participer aux élections des représentants au Parlement européen. En d’autres termes, il contestait l’établissement d’une circonscription unique (l’ensemble des territoires français) car, selon lui, les départements d’outre-mer n’auraient pas dû être intégrés dans cette circonscription unique.

[Demande visant le prononcé d’une amende] À titre accessoire, le ministre des départements et territoires d'outre-mer sollicitait du Conseil d’État le prononcé d’une amende pour recours abusif de M. Nicolo ».

3 - Le problème de droit dans une fiche de décision du Conseil d’État

Il n’existe aucune spécificité par rapport au problème de droit dans la fiche d’un arrêt de la Cour de cassation.

Vous devez trouver la question juridique sur laquelle le Conseil d’État a eu à se prononcer. Cette étape est à la fois la plus difficile et la plus importante de la fiche d’arrêt.

Gardez à l’esprit plusieurs remarques afin d’élaborer votre problème de droit : 

  • Préférez une formulation du problème de droit sous forme interrogative (même si ce n’est pas une obligation). 
  • Préférez une formulation du problème de droit qui vous permet de répondre « oui » ou « non ». 
  • Trouvez un entre-deux entre une formulation trop générale et une formulation trop précise. 

💡 Exemple de problème de droit avec l’arrêt Nicolo

« Le juge administratif peut-il contrôler la compatibilité d’une loi française par rapport à un traité international lorsque cette loi est postérieure à ce dernier ? »

4 - Solution dans une fiche d’arrêt en droit administratif (sens de la décision)

Vous devez rendre compte de la solution rendue par le Conseil d’État.

En présence d’une solution particulièrement longue, n’hésitez pas à résumer la solution en ne gardant que l’essentiel.  

Lorsque la décision pose une solution de principe et mentionne un « considérant de principe », vous devez retranscrire ce considérant dans la solution.

💡 Exemple de solution avec l’arrêt Nicolo

« Le Conseil d’État rejette la requête [rejet de la requête] de M. Nicolo en jugeant que les dispositions de la loi du 7 juillet 1977 « ne sont pas incompatibles avec les stipulations claires de l'article 227-1 précité du traité de Rome ». Le Conseil d’État mentionne plusieurs visas au début de l’arrêt Nicolo dont notamment l’article 55 de la Constitution et le Traité en date du 25 mars 1957, instituant la communauté économique européenne.

Le Conseil d’État poursuit en expliquant que les personnes ayant la qualité d'électeur dans les départements et territoires d'outre-mer ont aussi cette qualité pour l'élection des représentants au Parlement européen et sont également éligibles en vertu des dispositions du Code électoral.

La juridiction suprême de l’ordre administratif conclu en jugeant que M. Nicolo n'est pas fondé à soutenir ni que la participation des citoyens français des départements et territoires d'outre-mer à l'élection des représentants au Parlement européen, ni que la présence de certains d'entre eux sur des listes de candidats aurait vicié ladite élection.

À titre accessoire, on peut noter que la requête du ministre des départements et territoires d'outre-mer tendant à obtenir du Conseil d’État le prononcé d’une amende pour recours abusif de M. Nicolo est rejetée. Le Conseil d’État juge que des conclusions ayant un tel objet ne sont pas recevables
».

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  1. Bonjour,
    je pense que vous vous êtes trompé dans votre exemple. vous avez cité l’arrêt sarran alors qu’il s’agissait de l’arrêt de Niccolo. En effet l’arrêt Sarran date du 30 octobre 1998.

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